l dut appeler
sa femme pour l'aider. Ils allerent manger a leur tour avec Jacques
et Paul; et, quand les repas furent termines, le feltyegre alla faire
atteler.
"Jackson, mon ami, dit le general, je veux faire une surprise a Derigny;
prenez, ce manteau et mettez-le sur le siege de la voiture."
Jackson s'approcha du canape ou etait le manteau et voulut le prendre;
mais a peine l'eut-il regarde, qu'il palit, chancela et tomba sur le
canape.
Le general seul s'apercut de ce saisissement.
"Quoi! qu'est-ce, mon ami?... Romane, mon ami, reponds... Je t'en
supplie... Qu'as-tu?"
Romane: "C'est mon manteau que j'ai vendu en passant ici, prisonnier,
enchaine, forcat. Les froids etaient passes; je l'ai vendu a un juif,
ajouta a voix basse Romane encore tremblant d'emotion a ce nouveau
souvenir de son passage."
Le general: "Remets-toi; courage, mon ami... Si on te voyait ainsi emu,
la curiosite serait excitee."
Romane serra la main de son ami, qui l'aida a se relever. En prenant le
manteau, il faillit le laisser echapper. Craignant d'avoir ete vu
par les enfants, qui jouaient au bout du salon, il leva les yeux et
rencontra le regard inquiet et triste de Natasha, qui l'examinait depuis
longtemps. La paleur de Romane devint livide. Natasha s'approcha de lui,
prit et serra sa main glacee.
"Mon cher monsieur Jackson, dit-elle a voix basse, vous etes inquiet?
Vous craignez que je ne parle, que je n'interroge? Vous avez un secret
penible; je le devine, enfin; mais, soyez sans inquietude, jamais je ne
laisserai echapper un mot qui puisse vous compromettre."
--Chere enfant, vous avez toute ma reconnaissante amitie et toute mon
estime", repondit de meme Romane.
Le general la serra dans ses bras.
"Partons, dit-il, allons, vous autres grands garcons, venez aider notre
ami Jackson a porter ce grand manteau."
Les enfants se jeterent sur ce manteau et le trainerent plus qu'ils ne
le porterent jusqu'a la voiture.
"Tenez, mon ami, dit le general a Derigny, voila de quoi vous rechauffer
la nuit qui vient.
--Mon general, vous etes, trop bon, et ma femme est une indiscrete",
repondit Derigny en souriant.
Et il salua respectueusement le general en, menacant sa femme du doigt.
Le voyage continua gaiement et heureusement jusqu'a la frontiere, ou les
formalites d'usage s'accomplirent promptement et facilement, grace
a l'intervention du feltyegre, qui devait recevoir sa paye quand
la frontiere serait franchie; la gener
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