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d'etre embarques; couches, indifferents, moitie sur un element,
moitie sur l'autre, ils n'etaient ni a l'endroit ou la mer allait
les porter, ni a l'endroit ou la terre allait les perdre; bagages
prepares, esprit tendu, regard fixe, ils attendaient. Je le
repete, ce mot, c'est celui qui peint ma vie presente. Couche
comme ces soldats, l'oreille tendue vers ces bruits qui
m'arrivent, je veux etre pret a partir au premier appel. Qui me
fera cet appel? la vie, ou la mort? Dieu, ou Raoul? Mes bagages
sont prets, mon ame est disposee, j'attends le signal...
J'attends, docteur, j'attends!
Le docteur connaissait la trempe de cet esprit, il appreciait la
solidite de ce corps; il reflechit un moment, se dit a lui-meme
que les paroles etaient inutiles, les remedes absurdes, et il
partit en exhortant les serviteurs d'Athos a ne le point
abandonner un moment.
Athos, le docteur parti, ne temoigna ni colere ni depit de ce
qu'on l'avait trouble; il ne recommanda meme pas qu'on lui remit
promptement les lettres qui viendraient: il savait bien que toute
distraction qui lui arrivait etait une joie, une esperance que ses
serviteurs eussent payee de leur sang pour la lui procurer.
Le sommeil etait devenu rare. Athos, a force de songer, s'oubliait
quelques heures au plus dans une reverie plus profonde, plus
obscure, que d'autres eussent appelee un reve. Ce repos momentane
donnait cet oubli au corps, que fatiguait l'ame; car Athos vivait
doublement pendant ces peregrinations de son intelligence. Une
nuit, il songea que Raoul s'habillait dans une tente, pour aller a
l'expedition commandee par M. de Beaufort en personne. Le jeune
homme etait triste, il agrafait lentement sa cuirasse, lentement
il ceignait son epee.
-- Qu'avez-vous donc? lui demanda tendrement son pere.
-- Ce qui m'afflige, c'est la mort de Porthos, notre si bon ami,
repondit Raoul; je souffre d'ici de la douleur que vous en
ressentirez la-bas.
Et la vision disparut avec le sommeil d'Athos.
Au point du jour, un des valets entra chez son maitre, et lui
remit une lettre venant d'Espagne.
L'ecriture d'Aramis, pensa le comte.
Et il lut.
-- Porthos est mort! s'ecria-t-il apres les premieres lignes. O
Raoul, Raoul, merci! tu tiens ta promesse, tu m'avertis!
Et Athos, pris d'une sueur mortelle, s'evanouit dans son lit sans
autre cause que sa faiblesse.
Chapitre CCLXIII -- Vision d'Athos
Quand cet evanouissement d'Athos eut cesse, le comte, pre
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