l'honneur de vous expedier le R.P. d'Oliva, general par
interim de la Societe de Jesus, mon successeur provisoire.
"Le reverend pere vous expliquera, monsieur Colbert, que je garde
la direction de toutes les affaires de l'ordre qui concernent la
France et l'Espagne; mais que je ne veux pas conserver le titre de
general, qui jetterait trop de lumiere sur la marche des
negociations dont Sa Majeste Catholique veut bien me charger. Je
reprendrai ce titre par l'ordre de Sa Majeste quand les travaux
que j'ai entrepris, de concert avec vous, pour la plus grande
gloire de Dieu et de son Eglise, seront menes a bonne fin.
"Le R.P. d'Oliva vous instruira aussi, monsieur, du consentement
que donne Sa Majeste Catholique a la signature d'un traite qui
assure la neutralite de l'Espagne, dans le cas d'une guerre entre
la France et les Provinces-Unies.
"Ce consentement serait valable, meme si l'Angleterre, au lieu de
se porter active, se contentait de demeurer neutre.
"Quant au Portugal, dont nous avions parle vous et moi, monsieur,
je puis vous assurer qu'il contribuera de toutes ses ressources a
aider le roi Tres Chretien dans sa guerre.
"Je vous prie, monsieur Colbert, de me vouloir garder votre
amitie, comme aussi de croire a mon profond attachement, et de
mettre mon respect aux pieds de Sa Majeste Tres Chretienne.
_Signe_: Duc d'Alameda."
Aramis avait donc tenu plus qu'il n'avait promis; il restait a
savoir comment le roi, M. Colbert et M. d'Artagnan seraient
fideles les uns aux autres.
Au printemps, comme l'avait predit Colbert, l'armee de terre entra
en campagne.
Elle precedait, dans un ordre magnifique, la Cour de Louis XIV,
qui, parti a cheval, entoure de carrosses pleins de dames et de
courtisans, menait a cette fete sanglante l'elite de son royaume.
Les officiers de l'armee n'eurent, il est vrai, d'autre musique
que l'artillerie des forts hollandais; mais ce fut assez pour un
grand nombre, qui trouverent dans cette guerre les honneurs,
l'avancement, la fortune ou la mort.
M. d'Artagnan partit, commandant un corps de douze mille hommes,
cavalerie et infanterie, avec lequel il eut ordre de prendre les
differentes places qui sont les noeuds de ce reseau strategique
qu'on appelle la Frise.
Jamais armee ne fut conduite plus galamment a une expedition. Les
officiers savaient que le maitre, aussi prudent, aussi ruse qu'il
etait brave, ne sacrifierait ni un homme ni un pouce de terrain
sans necessite.
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