ste de M. le duc, nous avions leve la
main. Nous attendions que le cavalier tournat bride; mais
M. de Bragelonne courait toujours vers les palissades.
"-- Arretez, Bragelonne! repeta le prince d'une voix tres forte;
arretez au nom de votre pere!
"A ces mots, M. de Bragelonne se retourna, son visage exprimait
une vive douleur, mais il ne s'arretait pas; nous jugeames alors
que son cheval l'emportait.
"Quand M. le duc eut devine que le vicomte n'etait plus maitre de
son cheval, et qu'il l'eut vu depasser les premiers grenadiers,
Son Altesse cria:
"-- Mousquetaires, tuez-lui son cheval! Cent pistoles a qui mettra
bas le cheval!
"Mais de tirer sur la bete sans atteindre le cavalier, qui eut pu
l'esperer? Aucun n'osait. Enfin il s'en presenta un, c'etait enfin
tireur du regiment de Picardie, nomme La Luzerne, qui coucha en
joue l'animal, tira et l'atteignit a la croupe, car on vit le sang
rougir le pelage blanc du cheval; seulement, au lieu de tomber, le
maudit genet s'emporta plus furieusement encore.
"Tout Picardie, qui voyait ce malheureux jeune homme courir a la
mort, criait a tue-tete: "Jetez-vous en bas, monsieur le vicomte!
en bas, en bas, jetez-vous en bas!" M. de Bragelonne etait un
officier fort aime dans toute l'armee.
"Deja le vicomte etait arrive a portee de pistolet du rempart; une
decharge partit et l'enveloppa de feu et de fumee. Nous le
perdimes de vue; la fumee dissipee, on le revit a pied, debout;
son cheval venait d'etre tue.
"Le vicomte fut somme de se rendre par les Arabes; mais il leur
fit un signe negatif avec sa tete, et continua de marcher aux
palissades.
"C'etait une imprudence mortelle. Cependant toute l'armee lui sut
gre de ne point reculer, puisque le malheur l'avait conduit si
pres. Il marcha quelques pas encore, et les deux regiments lui
battirent des mains.
"Ce fut encore a ce moment que la seconde decharge ebranla de
nouveau les murailles, et le vicomte de Bragelonne disparut une
seconde fois dans le tourbillon; mais, cette fois, la fumee eut
beau se dissiper, nous ne le vimes plus debout. Il etait couche,
la tete plus bas que les jambes, sur les bruyeres, et les Arabes
commencerent a vouloir sortir de leurs retranchements pour venir
lui couper la tete ou prendre son corps, comme c'est la coutume
chez les infideles.
"Mais Son Altesse M. le duc de Beaufort avait suivi tout cela du
regard, et ce triste spectacle lui avait arrache de grands et
douloureux soupirs. Il
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