enouillee sur cette terre humide.
D'Artagnan s'arreta au seuil de la chapelle pour ne pas troubler
cette femme, et aussi pour tacher de voir quelle etait l'amie
pieuse qui venait remplir ce devoir sacre avec tant de zele et de
perseverance.
L'inconnue cachait son visage sous ses mains, blanches comme des
mains d'albatre. A la noble simplicite de son costume on devinait
la femme de distinction. Au-dehors, plusieurs chevaux montes par
des valets et un carrosse de voyage attendaient cette dame.
D'Artagnan cherchait vainement a deviner ce qui la regardait.
Elle priait toujours; elle passait souvent son mouchoir sur son
visage. D'Artagnan comprit qu'elle pleurait.
Il la vit frapper sa poitrine avec la componction impitoyable de
la femme chretienne. Il l'entendit proferer a plusieurs reprises
ce cri parti d'un coeur ulcere: "Pardon! pardon!"
Et comme elle semblait s'abandonner tout entiere a sa douleur,
comme elle se renversait, a demi evanouie, au milieu de ses
plaintes et de ses prieres, d'Artagnan, touche par cet amour pour
ses amis tant regrettes, fit quelques pas vers la tombe, afin
d'interrompre le sinistre colloque de la penitente avec les morts.
Mais aussitot que son pied eut crie sur le sable, l'inconnue
releva la tete et laissa voir a d'Artagnan un visage inonde de
larmes, un visage ami.
C'etait Mlle de La Valliere!
-- M. d'Artagnan! murmura-t-elle.
-- Vous! repondit le capitaine d'une voix sombre, vous ici! Oh!
madame, j'eusse aime mieux vous voir paree de fleurs dans le
manoir du comte de La Fere. Vous eussiez moins pleure, eux aussi,
moi aussi!
-- Monsieur! dit-elle en sanglotant.
-- Car c'est vous, ajouta l'impitoyable ami des morts, c'est vous
qui avez couche ces deux hommes dans la tombe.
-- Oh! epargnez-moi!
-- A Dieu ne plaise, mademoiselle, que j'offense une femme ou que
je la fasse pleurer en vain; mais je dois dire que la place du
meurtrier n'est pas sur la tombe des victimes.
Elle voulut repondre.
-- Ce que je vous dis la, ajouta-t-il froidement, je le disais au
roi.
Elle joignit les mains.
-- Je sais, dit-elle, que j'ai cause la mort du vicomte de
Bragelonne.
-- Ah! vous le savez?
-- La nouvelle en est arrivee a la Cour hier. J'ai fait, depuis
cette nuit a deux heures, quarante lieues pour venir demander
pardon au comte, que je croyais encore vivant, et pour supplier
Dieu, sur la tombe de Raoul, qu'il m'envoie tous les malheurs que
je merite, excepte un se
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