s'est mis aux mains.
[Illustration]
V
LA NUIT ET LE JOUR
La pauvre Violette courut tout le jour; fosses, ruisseaux, halliers,
ronces, epines, rien ne l'arretait; qui souffre pour l'amour ne sent
pas la peine. Quand vint le soir, elle se trouva dans un bois sombre,
accablee de fatigue, mourant de faim, les pieds et les mains en sang.
La frayeur la prit; elle regardait autour d'elle sans remuer; il lui
semblait que du milieu de la nuit sortaient des milliers d'yeux qui la
suivaient en la menacant. Tremblante, elle se jeta au pied d'un arbre,
appelant a voix basse Perlino pour lui dire un dernier adieu.
Comme elle retenait son haleine, ayant si grand'peur qu'elle n'osait
respirer, elle entendit les arbres du voisinage qui parlaient entre eux.
C'est le privilege de l'innocence, qu'elle comprend toutes les creatures
de Dieu.
"Voisin, disait un caroubier a un olivier qui n'avait plus que l'ecorce,
voila une jeune fille qui est bien imprudente de se coucher a terre.
Dans une heure, les loups sortiront de leur taniere; s'ils l'epargnent,
la rosee et le froid du matin lui donneront une telle fievre qu'elle ne
se relevera pas. Que ne monte-t-elle dans mes branches; elle y pourrait
dormir en paix, et je lui offrirais volontiers quelques-unes de mes
gousses pour ranimer ses forces epuisees.
--Vous avez raison, voisin, repondait l'olivier. L'enfant ferait mieux
encore si, avant de se coucher, elle enfoncait son bras dans mon ecorce.
On y a cache les habits et la zampogne[1] d'un _pifferaro_. Quand on
brave la fraicheur des nuits, une peau de bique n'est pas a dedaigner;
et, pour une fille qui court le monde, c'est un costume leger qu'une
robe de dentelles et des souliers de satin."
[Note 1: Espece de cornemuse.]
[Illustration]
Qui fut rassuree? Ce fut Violette. Quand elle eut cherche a tatons la
veste de bure, le manteau de peau de chevre, la zampogne et le chapeau
pointu du pifferaro, elle monta bravement sur le caroubier, mangea tics
fruits sucres, but la rosee du soir, et, apres s'etre bien enveloppee,
elle s'arrangea entre deux branches du mieux qu'elle put. L'arbre
l'entoura de ses bras paternels, des ramiers sortant de leurs nids la
couvrirent de feuilles, le vent la bercait comme un enfant, et elle
s'endormit en songeant a son bien-aime.
En s'eveillant le lendemain, elle eut peur. Le temps etait calme et
beau; mais, dans le silence des bois, la pauvre enfant sentait mieux la
solitude. Tout vi
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