e, d'un ton severe,
je vous envoie au jardin sans dessert.
--Ah!" dit mon pere.
Cet ah! me rendit du courage, je donnai un coup de poing sur la table:
"Mais parle donc, papa!"
Ma mere fit mine de se lever; mon pere la prevint; en un instant je me
trouvai dans le jardin tout en larmes, avec une grande tartine de pain
sec a la main.
Voila comment je n'ai jamais su le mot de la derniere enigme. S'il y en
a de plus habiles que moi, qu'ils le devinent, sinon qu'ils aillent au
Senegal; peut-etre la femme du tailleur leur apprendra-t-elle le secret
que ma mere ne m'a jamais dit.
VI
LE SECOND VOYAGE DU CAPITAINE JEAN
Mes causeries avec les negres avaient fait de moi un interprete et un
courtier; le capitaine avait en mon zele une pleine confiance; malgre
mon age, c'est moi qui traitais avec tous les marchands. La cargaison
fut bientot faite a des conditions excellentes, et a mon retour a
Marseille, j'eus, outre ma part, un beau et riche cadeau de mes
armateurs. Ma reputation commencait, et apres quelques voyages dans la
Mediterranee, on m'offrit de partir pour l'Orient comme subrecargue d'un
brick de la plus belle taille; je n'avais pas vingt ans.
Qui m'avait valu une si belle condition? Mon travail. Partout ou j'avais
aborde, j'avais fait connaissance avec les matelots de tous pays, Grecs,
Levantins, Dalmates, Russes, Italiens, et je parlais un peu la langue
de tous ces gens-la. Le navire allait chercher des grains dans la mer
Noire, a l'embouchure du Danube; il fallait un homme qui baragouinat
tous les patois; on m'avait trouve sous la main, et quoique je n'eusse
guere de barbe au menton, on m'avait pris.
Me voila donc en mer, et cette fois pour mon compte, faisant un commerce
loyal, et n'etant l'esclave que de mon devoir. Dieu sait si je prenais
de la peine pour defendre l'interet de mes armateurs! En arrivant a
Constantinople, je trouvai le moyen de placer notre cargaison d'articles
divers a des conditions avantageuses, et nous partimes pour Galatz, bien
munis de piastres d'Espagne et de lettres de change. En entrant dans
la mer Noire, notre navire portait des passagers de toute langue et de
toute nation. L'un des plus singuliers etait un Dalmate qui retournait
chez lui par le Danube. Il etait tout le jour assis a l'avant, tenant
entre ses jambes un violon qui n'avait qu'une corde, c'est ce que les
Serbes nomment la _gulza_; il grattait cette corde avec un archet et
chantait, d'un ton plaintif e
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