bons. Moitie patois, moitie signes,
nous finissions toujours par nous entendre; je causai si souvent avec
eux de choses et d'autres que j'en vins a parler leur langue, comme si
le bon Dieu m'avait fait naitre avec une peau de taupe.--Qui s'embarque
sans savoir la langue du pays ou il va, dit un proverbe, ne va pas
en voyage, il va a l'ecole. Le proverbe avait raison, j'appris par
experience que les negres n'etaient ni moins intelligents ni moins fins
que nous.
Parmi ceux que je voyais le plus souvent, etait un tailleur qui aimait
beaucoup a causer, et qui ne perdait jamais une occasion de me prouver,
dans sa langue, que les noirs avaient plus d'esprit que les blancs.
"Sais-tu, me dit-il un jour, comment je me suis marie?
--Non, lui dis-je, je sais que tu as une femme qui est une des ouvrieres
les plus habiles de Saint-Louis, mais tu ne m'as pas dit comment tu l'as
choisie.
--C'est elle qui a choisi et non pas moi, me dit-il; cela seul te prouve
combien nos femmes ont d'intelligence et de sens. Ecoute mon recit, il
t'interessera."
L'histoire du tailleur
Il y avait une fois un tailleur (c'etait mon futur beau-pere) qui avait
une fort belle fille a marier, tous les jeunes gens la recherchaient
a cause de sa beaute. Deux rivaux (tu en connais un) vinrent un jour
trouver la belle et lui dirent:
"C'est pour toi que nous sommes ici.
--Que me voulez-vous? repondit-elle en souriant.
--Nous t'aimons, reprirent les deux jeunes gens; chacun de nous desire
t'epouser."
La belle etait une fille bien elevee; elle appela son pere, qui ecouta
les deux pretendants et leur dit:
"Il se fait tard, retirez-vous, et revenez demain; vous saurez alors qui
des deux aura ma fille.
Le lendemain, au point du jour, les deux jeunes gens etaient de retour.
"Nous voici, crierent-ils au tailleur, rappelez-vous ce que vous nous
avez promis hier.
--Attendez, repondit-il, je vais au marche acheter une piece de drap;
quand je l'aurai rapportee a la maison, vous saurez ce que j'attends de
vous."
Quand le tailleur revint du marche, il appela sa fille, et, lorsqu'elle
fut venue, il dit aux jeunes gens:
"Mes fils, vous etes deux, et je n'ai qu'une fille. A qui faut-il que je
la donne? a qui faut-il que je la refuse? Voyez cette piece de drap: j'y
taillerai deux vetements pareils; chacun de vous en coudra un, celui qui
le premier aura fini sera mon gendre."
Chacun des deux rivaux prit sa tache et se prepara a coudre sou
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