c la bohemienne,
et, tenant a la main la hache du second, il fit un discours que je
n'entendis pas, mais dont je ne perdis pas un mot; j'aurais pu le
traduire ainsi: "Cet enfant a sauve ma mere; je le prends sous ma garde,
la premier qui y touche, je l'abats."
C'etait la seule eloquence qui pouvait me sauver; un quart d'heure
apres tout ce bruit, ma blessure etait pansee avec de la poudre et de
l'eau-de-vie; on m'avait monte sur une mule; dans un des paniers etait
le paquet de piastres; a cote de moi, en travers, on avait place
un grand sac qui pendait des deux cotes. Le bohemien mon sauveur
m'accompagnait seul, un pistolet a chaque poing.
Arrives a la plage, mon conducteur appela le capitaine, qui se trouvait
dans la chaloupe; il eut avec lui, a terre, une longue et vive
conversation. Apres quoi il m'embrassa, me remit l'argent et me dit: "Un
_roumi_[1] paye le bien par le bien, et le mal par le mal. Pas un mot de
ce que tu as vu, ou tu es mort."
[Note 1: C'est le nom que se donnent entre eux les bohemiens.]
J'entrai alors dans la chaloupe avec le capitaine, qui fit jeter dans
un coin le sac porte par deux matelots. Une fois a bord, on m'envoya
coucher; j'eus grand'peine a m'endormir; mais la fatigue l'emporta sur
l'agitation; quand je m'eveillai, il etait midi. Je craignis d'etre
battu; mais j'appris qu'on n'avait pas leve l'ancre: un malheur arrive
a bord en etait la cause; le second, me dit-on, etait mort subitement
d'une attaque d'apoplexie, pour avoir trop bu d'eau-de-vie; le matin
meme, on l'avait jete a la mer, cousu dans un sac, un boulet aux pieds.
Sa mort n'attristait personne; il etait fort mechant, et on profitait de
sa part dans l'expedition. Une heure apres ces funerailles, on mettait a
la voile; nous marchions sur Malaga et Gibraltar.
V
CONTES NOIRS
Le reste du voyage se passa sans accident; une fois sur de ma
discretion, le capitaine me prit en amitie; quand nous descendimes a
terre, a Saint-Louis du Senegal, il me garda a son service et me fit
demeurer avec lui.
Pendant le temps que je restai dans ce pays nouveau, je ne voulus rien
negliger de ce qui pouvait m'instruire. Les negres qui nous entouraient
de tous cotes parlaient une langue que personne ne voulait se donner la
peine d'apprendre: "Ce sont des sauvages", repetait mon capitaine. Apres
cela, tout etait dit.
Pour moi, qui rodais dans la ville, je me fis bientot des amis parmi ces
pauvres negres, si affectueux et si
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