cherchait pouille, l'appelait envieux ou jaloux, et risquait au
combat le seul oeil qui lui restat; si les poules gloussaient a sa vue,
il disait que c'etait pour cacher leur depit, parce qu'il ne daignait
meme pas les regarder.
Un jour que sa vanite lui montait a la tete plus que de coutume, il dit
a sa mere:
"Ecoutez-moi, Madame ma mere: l'Espagne m'ennuie, je m'en vais a Rome;
je veux voir le Pape et les cardinaux.
--Y penses-tu, mon enfant? s'ecria la pauvre poule. Qui t'a mis dans la
cervelle une telle folie? Jamais, dans notre famille, on n'est sorti
de son pays; aussi sommes-nous l'honneur de notre race: nous pouvons
montrer notre genealogie. Ou trouveras-tu une basse-cour comme celle-ci,
des muriers pour t'abriter, un poulailler blanchi a la chaux, un fumier
magnifique, des vers et des grains partout, des freres qui t'aiment, et
trois chiens qui te gardent du renard? Crois-tu qu'a Rome meme tu ne
regretteras pas l'abondance et la douceur d'une pareille vie?"
Coquerico haussa son aile manchote en signe de dedain.
"Ma mere, dit-il, vous etes une bonne femme; tout est beau a qui n'a
jamais quitte son fumier; mais j'ai deja assez d'esprit pour voir que
mes freres n'ont pas d'idee et que mes cousins sont des rustres. Mon
genie etouffe dans ce trou, je veux courir le monde et faire fortune.
--Mais, mon fils, reprit la pauvre mere poule, l'es-tu jamais regarde
dans la mare? Ne sais-tu pas qu'il te manque un oeil, une patte et
une aile? Pour faire fortune, il faut des yeux de renard, des pattes
d'araignee et des ailes de vautour. Une fois hors d'ici, tu es perdu.
--Ma mere, repondit Coquerico, quand une poule couve un canard, elle
s'effraye toujours de le voir courir a l'eau. Vous ne me connaissez pas
davantage. Ma nature, a moi, c'est de reussir par mes talents et mon
esprit; il me faut un public qui soit capable de sentir les agrements de
ma personne; ma place n'est pas parmi les petites gens."
Quand la poule vit que tous les sermons etaient inutiles, elle dit a
Coquerico:
"Mon fils, ecoute au moins les derniers conseils de ta mere. Si tu vas
a Rome, evite de passer devant l'eglise de Saint-Pierre; le saint, a ce
qu'on dit, n'aime pas beaucoup les coqs, surtout quand ils chantent.
Fuis aussi certains personnages qu'on nomme cuisiniers et marmitons; tu
les reconnaitras a leur bonnet blanc, a leur tablier retrousse et a la
gaine qu'ils portent au cote. Ce sont des assassins patentes qui nous
traquent
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