il se tourna dedaigneusement vers les laches qui
l'outrageaient, et, leur montrant ses membres reduits par le feu:
"Voila, leur dit-il, ce qui s'appelle devorer des hommes. Pour nous,
loin de devorer des enfants, nous ne faisons de mol a personne." Et,
comme on lui demandait le nom de son Dieu: "Dieu, repondit-il, n'a pas
de nom, comme nous autres mortels." Apres cette reponse, il mourut.
On avait reserve pour la fin Ponticus et Blandine, une femme, un enfant.
On les avait forces d'assister a tous les supplices; on esperait que
la vue de tant de souffrances effrayerait et dompterait des ames aussi
sensibles et aussi tendres; on les suppliait de jurer par les images des
dieux, car on sentait ce qu'il y avait d'odieux a ecraser ainsi du meme
coup la faiblesse et l'innocence. Tout fut inutile, Blandine et Ponticus
etaient chretiens. La foule entra alors en fureur et ne voulut epargner
ni l'age ni le sexe. Ponticus fut le premier saisi; le peuple demanda
qu'on epuisat tous les supplices sur cet enfant. Battu de verges, livre
aux betes, il resista a toutes les epreuves. Au milieu des tourments
qui le brisaient, on entendait la voix de Blandine qui encourageait son
jeune frere a souffrir des douleurs d'un instant pour conquerir une
gloire qui ne finirait pas. Ni menaces ni coups n'arretaient la
chretienne; c'etait une mere qui voulait enfanter son fils a la vie
eternelle. Ponticus resista aussi longtemps que ses forces le lui
permirent, et ce fut en souriant a Blandine qu'il rendit le dernier
soupir.
L'enfant mort et dans le sein de Dieu, on vit Blandine marcher aux betes
de l'amphitheatre, non pas comme une captive qui va a la mort, mais
comme une fiancee qui prend place au festin nuptial. Sur l'ordre du
peuple, on la suspendit dans un filet, et on l'exposa ainsi a un taureau
indompte. Trois fois l'animal, de sa corne furieuse, jeta en l'air la
pauvre Blandine, trois fois il la foula aux pieds, pour assouvir sa rage
sur la victime qu'on lui livrait; on n'entendit ni plaintes ni pleurs,
mais seulement quelques mots de priere, une invocation au Christ
sauveur. Enfin on la tira du filet a demi morte et on l'egorgea comme un
agneau qu'on egorge a l'autel.
Le spectacle etait fini; mais l'ivresse de la foule avait cesse; le
peuple sortit en silence, sans jeter au ciel le nom de Cesar. Chacun se
disait que jamais femme n'avait supporte de tels supplices et n'avait
montre un courage plus indompte; le proconsul, qui tremblait d
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