s, un
chevrier pour ses chevres, un porcher pour ses porcs, un gardien pour
ses abeilles, et leur dit a tous:
"Je vous confie mon bien; que Dieu vous surveille."
Et il continua de vivre dans sa maison sans plus de souci qu'auparavant.
L'aine, au contraire, se fatigua pour sa part autant qu'il avait fait
pour le bien commun: il garda lui-meme ses troupeaux, ayant l'oeil a
tout; malgre cela, il ne trouva partout que mauvais succes et dommage;
de jour en jour tout lui tournait a mal, jusqu'a ce qu'enfin il devint
si pauvre qu'il n'avait meme plus une paire d'opanques[1], et qu'il
allait nu-pieds. Alors il se dit:
"J'irai chez mon frere voir comment les choses vont chez lui."
[Note 1: C'est la chaussure des Serbes, qui est faite avec des lanieres
de cuir.]
Son chemin le menait dans une prairie ou paissait un troupeau de brebis,
et quand il s'en approcha, il vit que les brebis n'avaient point de
berger. Pres d'elles, seulement, etait assise une belle jeune fille qui
filait un fil d'or.
Apres avoir salue la fille d'un: "Dieu te protege!" il lui demanda a qui
etait ce troupeau; elle lui repondit:
"A qui j'appartiens, appartiennent aussi ces brebis.
--Et qui es-tu? continua-t-il.
--Je suis la fortune de ton frere," repondit-elle.
Alors il fut pris de colere et d'envie, et s'ecria:
"Et ma fortune, a moi, ou est-elle?"
La fille lui repondit:
"Ah! elle est bien loin de toi.
--Puis-je la trouver?" demanda-t-il.
Elle lui repondit: "Tu le peux, seulement cherche-la."
Quand il eut entendu ces mots et qu'il vit que les brebis de son frere
etaient si belles qu'on n'en pouvait imaginer de plus belles, il ne
voulut pas aller plus loin pour voir les autres troupeaux, mais il alla
droit a son frere. Des que celui-ci l'apercut, il en eut pitie et lui
dit en fondant en larmes:
"Ou donc as-tu ete depuis si longtemps?"
En le voyant en haillons et nu-pieds, il lui donna une paire d'opanques
et quelque argent.
Apres etre reste trois jours chez son frere, le pauvre partit pour
retourner chez lui; mais une fois a la maison, il jeta un sac sur ses
epaules, y mit un morceau de pain, prit un baton a la main, et s'en alla
ainsi par le monde pour y chercher sa fortune.
[Illustration]
Ayant marche quelque temps, il se trouva dans une grande foret et
rencontra une abominable vieille qui dormait sous un buisson. Il se mit
a fouiller la terre avec son baton, et, pour eveiller la vieille, il lui
donna un co
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