ere, donne-moi Miliza; tu vois que sans elle je suis seul au monde!"
Et le frere repondit:
"Cela me plait: Miliza est a toi."
Le nouveau marie emmena dans sa maison la fille de son frere, et il
devint tres riche, mais il disait toujours:
"Tout ce que j'ai est a Miliza."
[Illustration]
Un jour, il alla aux champs pour voir ses bles, qui etaient si beaux
qu'on ne pouvait rien trouver de plus beau. Voila qu'un voyageur vint a
passer sur le chemin, et lui demanda:
"A qui ces bles?"
Et lui, sans y penser, repondit:
"Ils sont a moi."
Mais a peine avait-il parle que voila les bles qui s'enflamment et le
champ tout en feu. Vite il court apres le voyageur et lui crie:
"Arrete, mon frere, ces bles ne m'appartiennent pas, ils sont a Miliza,
la fille de mon frere."
Le feu cessa aussitot, et des lors notre homme fut heureux, grace a
Miliza.
* * * * *
"Seigneur Dalmate, dis-je a mon conteur, votre histoire est jolie,
quoiqu'elle sente terriblement le Turc. En mon pays, nous avons d'autres
idees; loin de nous en remettre a la fortune, nous comptons sur
nous-memes, sur notre esprit plus encore que sur nos bras, sur notre
prudence plus que sur notre hardiesse. Aussi, dans ma patrie, paye-t-on
cher un bon conseil.
--Ainsi fait-on chez moi, me repondit le Dalmate en rajustant son bonnet
de peau qui tombait sur les yeux; ecoutez ce qui est arrive l'an dernier
a un de mes voisins.
VIII
LE FERMIER PRUDENT
Il y avait pres de Raguse un fermier qui se melait aussi de commerce. Un
jour, il partit pour la ville, emportant avec lui tout son argent, afin
de faire quelques achats. En arrivant a un carrefour, il demanda a un
vieillard qui se trouvait la quelle route il fallait prendre.
"Je te le dirai si tu me donnes cent ecus, repondit l'etranger; je ne
parle pas a moins; chacun de mes avis vaut cent ecus!"
"Diable! pensa le fermier en regardant la mine de l'etranger, qui avait
l'air d'un renard, qu'est-ce que peut etre un avis qui vaut cent ecus?
Ce doit etre quelque chose de bien rare, car, en general, on vous
donne pour rien des conseils; il est vrai qu'ils ne valent pas
davantage.--Allons, dit-il a l'homme, parle; voila tes cent ecus."
--Ecoute donc, reprit l'etranger. Cette route qui va tout droit, c'est
la route d'aujourd'hui; celle qui fait un coude, c'est la route de
demain. J'ai encore un avis a te donner, continua-t-il; mais il faut
aussi me le payer c
|