cours, des aliments, et un gite pour la nuit.
"--Je l'aime mieux ainsi, me repondit-elle avec un accent etranger que je
pris pour celui des vagabonds egyptiens; car je ne savais pas a cette
epoque les langues que j'ai apprises depuis dans mes voyages. Je pourrai,
ajouta-t-elle, vous payer l'hospitalite que vous m'offrez, en vous faisant
entendre quelques chansons des divers pays que j'ai parcourus. Je demande
rarement l'aumone; il faut que j'y sois forcee par une extreme detresse.
--Pauvre femme! lui dis-je, vous portez un fardeau bien lourd; vos
pauvres pieds presque nus sont blesses. Donnez-moi ce paquet, je le
porterai jusqu'a ma demeure, et vous marcherez plus librement.
--Ce fardeau devient tous les jours plus pesant, repondit-elle avec un
sourire melancolique qui l'embellit tout a fait; mais je ne m'en plains
pas. Je le porte depuis plusieurs annees, et j'ai fait des centaines
de lieues avec lui sans regretter ma peine. Je ne le confie jamais a
personne; mais vous avez l'air d'un enfant si bon, que je vous le
preterai jusque la-bas.
A ces mots, elle ota l'agrafe du manteau qui la couvrait tout entiere,
et qui ne laissait passer que le manche de sa guitare. Je vis alors
un enfant de cinq a six ans, pale et hale comme sa mere, mais d'une
physionomie douce et calme qui me remplit le coeur d'attendrissement.
C'etait une petite fille toute deguenillee, maigre, mais forte, et qui
dormait du sommeil des anges sur ce dos brulant et brise de la chanteuse
ambulante. Je la pris dans mes bras, et j'eus bien de la peine a l'y
garder: car, en s'eveillant, et en se voyant sur un sein etranger, elle
se debattit et pleura. Mais sa mere lui parla dans sa langue pour la
rassurer. Mes caresses et mes soins la consolerent, et nous etions les
meilleurs amis du monde en arrivant au chateau. Quand la pauvre femme eut
soupe, elle coucha son enfant dans un lit que je lui avais fait preparer,
fit une espece de toilette bizarre, plus triste encore que ses haillons,
et vint dans la salle ou nous mangions, chanter des romances espagnoles,
francaises et allemandes, avec une belle voix, un accent ferme, et une
franchise de sentiment qui nous charmerent. Ma bonne tante eut pour elle
mille soins et mille attentions. Elle y parut sensible, mais ne depouilla
pas sa fierte, et ne fit a nos questions que des reponses evasives. Son
enfant m'interessait plus qu'elle encore. J'aurais voulu le revoir,
l'amuser, et meme le garder. Je ne sais quelle t
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