de Petersbourg une lettre de notre parent le prince B... Apres les
premiers compliments d'usage, il lui annoncait que les soupcons
qui s'etaient eleves sur ma participation aux complots des rebelle
ne s'etaient trouves que trop fondes, ajoutant qu'un supplice
exemplaire aurait du m'atteindre, mais que l'imperatrice, par
consideration pour les loyaux services et les cheveux blancs de
mon pere, avait daigne faire grace a un fils criminel; et qu'en
lui faisant remise d'un supplice infamant, elle avait ordonne
qu'il fut envoye au fond de la Siberie pour y subir un exil
perpetuel.
Ce coup imprevu faillit tuer mon pere. Il perdit sa fermete
habituelle, et sa douleur, muette d'habitude, s'exhala en plainte
ameres. "Comment! ne cessait-il de repeter tout hors de lui-meme,
comment! mon fils a participe aux complots de Pougatcheff? Dieu
juste! jusqu'ou ai-je vecu? L'imperatrice lui fait grace de la
vie; mais est-ce plus facile a supporter pour moi? Ce n'est pas le
supplice qui est horrible; mon aieul a peri sur l'echafaud pour la
defense de ce qu'il venerait dans le sanctuaire de sa
conscience[65], mon pere a ete frappe avec les martyrs Volynski et
Khouchlchoff[66]; mais qu'un gentilhomme trahisse son serment,
qu'il s'unisse a des bandits, a des scelerats, a des esclaves
revoltes, ... honte, honte eternelle a notre race!"
Effrayee de son desespoir, ma mere n'osait pas pleurer en sa
presence et s'efforcait de lui rendre du courage en parlant des
incertitudes et de l'injustice de l'opinion; mais mon pere etait
inconsolable.
Marie se desolait plus que personne. Bien persuadee que j'aurais
pu me justifier si je l'avais voulu, elle se doutait du motif qui
me faisait garder le silence, et se croyait la seule cause de mes
infortunes. Elle cachait a tous les yeux ses souffrances, mais ne
cessait de penser au moyen de me sauver. Un soir, assis sur son
sofa, mon pere feuilletait le _Calendrier de la cour;_ mais ses
idees etaient bien loin de la, et la lecture de ce livre ne
produisait pas sur lui l'impression ordinaire. Il sifflait une
vieille marche. Ma mere tricotait en silence, et ses larmes
tombaient de temps en temps sur son ouvrage. Marie, qui
travaillait dans la meme chambre, declara tout a coup a mes
parents qu'elle etait forcee de partir pour Petersbourg, et
qu'elle les priait de lui en fournir les moyens. Ma mere se montra
tres affligee de cette resolution.
"Pourquoi, lui dit-elle, veux-tu aller a Petersbourg? Toi au
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