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une Desdemona."
La reine de theatre sourit, regarda Rodolphe en coulisse et agita sa tete,
qui rendit un son comparable a celui de feuilles seches secouees par un
vent d'automne. La-dessus, Rodolphe, un peu rassure, se leva, pirouetta
sur ses talons, et dit a Max:
"Decidement, Clement vise au prix Montyon ou veut etre couronne rosiere."
Rosalie, au milieu de l'affluence de personnes qui s'empressaient autour
d'elle, avait le visage riant et semblait heureuse. Sous une robe en satin
bleu clair, garnie de dentelles aux epaules, au corsage, aux manches et a
la jupe, a cause de sa paleur maladive, de son oeil voile, de ses levres
blanches, elle faisait songer aux peintures ascetiques de Lesueur. A cote
d'elle brillait l'or de la reliure d'un album magnifique, vierge encore du
crayon et de la plume. Son mari, qui n'avait rien tant a coeur que de la
distraire, le lui avait offert le matin meme, en l'invitant a profiter de
la soiree pour le faire couvrir d'_illustrations_. Rodolphe, le premier
dont naturellement. elle mit l'obligeance a l'epreuve, s'executa de bonne
grace et ecrivit sur l'un des feuillets ce passage, destine sans doute a
l'une de ses prochaines nouvelles:
Cette pure colombe s'est laisse fasciner par le regard vainqueur d'un
farouche milan avec qui elle plane dans les regions bleues d'un
platonisme transcendant.
La complaisance de Rodolphe porta bonheur a l'album, qu'on se passa de
main en main, et qui, en moins d'une heure, s'enrichit de toutes sortes
d'autographes. M. Durosoir, encore sous l'influence d'une discussion fort
vive sur les romans, mit son nom a la suite de cette pensee, ou mieux de
cette boutade:
Les romanciers sont des brouillons qui tendent incessamment a deplacer
l'axe de toutes choses.
Deux ou trois feuillets plus loin s'epanouissait cette opinion d'un
critique a qui Clement avait fait voir l'ebauche sur panneau d'une
_Resurrection_ qu'on attribuait a Jouvenet:
On pourrait dire de Jouvenet qu'il peint au courant du pinceau, comme on
dit d'un calligraphe qu'il a une belle ecriture courante.
Apres un autographe musical du pianiste, consistant en un canon a trois
voix, qui, lu a rebours, produisait un deuxieme morceau parfaitement
regulier, le poete, dont il a ete parle, transcrivit ce sonnet de memoire:
Que diras-tu ce soir, pauvre ame solitaire,
Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois fletri,
A la Tres-Belle, a la Tres-Bonne, a la Tres-Chere,
Do
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