evis l'echafaud. Rappelez-vous ce dicton: "Il ne faut pas parler de
corde dans la maison d'un pendu," et vingt autres details de ce genre.
C'etait un supplice de tous les jours, de toutes les heures, de toutes les
secondes. Quoi que j'en eusse, il se faisait dans mon esprit des ravages
effrayants. L'etat de Rosalie etait de beaucoup plus douloureux encore:
elle vivait vraiment dans les flammes. La presence de l'enfant dans la
maison acheva d'en rendre le sejour intolerable. Incessamment, jour et
nuit, nous vecumes au milieu des scenes les plus cruelles. L'enfant me
glacait d'horreur. Je faillis vingt fois l'etouffer. Outre cela, Rosalie,
qui se sentait mourir, qui croyait a la vie future, aux chatiments,
aspirait a se reconcilier avec Dieu. Je la raillais, je l'insultais, je
menacais de la battre, j'entrais dans des fureurs a l'assassiner. Elle
mourut a temps pour me preserver d'un deuxieme crime. Quelle agonie! Elle
ne sortira jamais de ma memoire.
"Depuis, je n'ai pas vecu. Je m'etais flatte de n'avoir plus de conscience,
de ne jamais connaitre le remords, et cette conscience, ces remords
grandissent a mes cotes, en chair et en os, sous la forme de mon enfant.
Cet enfant, dont, malgre l'imbecillite, je consens a etre le gardien et
l'esclave, ne cesse de me torturer par son air, ses regards etranges, par
la haine instinctive qu'il me porte. N'importe ou que j'aille, il me suit
pas a pas, il marche ou s'assoit dans mon ombre. La nuit, apres une
journee de fatigue, je le sens a mes cotes, et son contact suffit a
chasser le sommeil de mes yeux ou tout au moins a me troubler de
cauchemars. Je crains que tout a coup la raison ne lui vienne, que sa
langue ne se delie, qu'il ne parle et ne m'accuse. L'inquisition, dans son
genie des tortures, Dante lui-meme, dans sa suppliciomanie, n'ont jamais
rien imagine de si epouvantable. J'en deviens monomane. Je me surprends
dessinant a la plume la chambre ou je commis mon crime; j'ecris au bas
cette legende: _Dans cette chambre, j'empoisonnai l'agent de change
Thillard-Ducornet_, et je signe. C'est ainsi que, dans mes heures de
fievre, j'ai detaille sur mon journal a peu pres mot pour mot tout ce que
je vous ai raconte.
"Ce n'est pas tout. J'ai reussi a me soustraire au supplice dont les
hommes chatient le meurtrier, et voila que ce supplice se renouvelle pour
moi presque chaque nuit. Je sens une main sur mon epaule et j'entends une
voix qui murmure a mon oreille: "Assassin!" Je sui
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