tion febrile, analogue a
celle du delire, se manifesta soudainement en lui. Il jeta des regards
effares sur le paysage. Devant les yeux se deroulait une plaine aride,
legerement ondulee, sans arbres, sans vegetation d'aucune sorte. A
l'horizon, s'etendait la mer dont la surface presentait une serie infinie
de losanges alternativement sombres et lumineux. Le murmure confus,
monotone des vagues, remplissait l'ame de tristesse. Un vent glacial, un
ciel gris, traverse au couchant de quelques bandes d'un rouge sinistre,
achevaient de faire de cet endroit l'un des plus affreux et des plus
desolants qu'on put imaginer. Clement en fit la remarque. Il ajouta en
portant la main a ses yeux avec emotion:
"Voila, monsieur, l'image de ma vie: l'aridite, l'horreur, le desespoir."
Peu apres, il reprit d'un air egare:
"N'entendez-vous rien? Il me semble que des voix appellent."
Le bruissement de la mer pouvait en effet produire cette illusion.
Clement fit encore quelques pas et dit:
"Asseyons-nous, monsieur, je me trouve mal."
Il n'etait pas assis depuis quelques secondes, qu'il se dressa d'un bond.
"Allons-nous-en!" s'ecria-t-il.
Ses forces le trahirent, il s'arreta.
"C'est singulier, fit-il d'une voix eteinte, je n'y vois plus."
Il suffoquait.
"J'etouffe, secourez-moi!"
Le capitaine, qui l'observait avec inquietude, courut a lui. Il arriva
trop tard pour le soutenir. Clement venait de crouler a terre comme une
masse inerte. Il avait cesse de vivre.
Il eut l'Ocean pour tombeau.
On trouva sur lui, parmi ses papiers, un projet informe de testament
olographe par lequel il instituait formellement Destroy son legataire
universel. La plupart de ses autres volontes etaient exprimees avec
beaucoup moins de precision. On devinait que le temps lui avait fait
defaut. Un homme qui le connaissait bien pouvait toutefois les penetrer
aisement. La moitie de son avoir, qui constituait une somme triple de
celle dont il avait depouille l'agent de change, devait etre remise a
madame Thillard; sur l'autre moitie serait preleve le capital d'une
pension viagere suffisante pour que son fils fut l'objet des plus grands
soins dans une maison de sante. Une note speciale, redigee bien avant ce
testament, montrait combien profondement il aimait cet enfant et avec
quelle persistante energie il se preoccupait de son avenir. Enfin, on
utiliserait le reste de sa fortune a creer des lits dans un hospice de
vieillards et a doter divers a
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