n'en fut pas autrement question...."
Clement voulut evidemment empecher M. Durosoir d'aller plus loin. De l'air
d'un homme qui n'a pas la tete saine, il se leva tout d'une piece, marcha
rapidement et bruyamment au travers de ses convives, au risque d'en
heurter quelques-uns, demanda un verre d'eau a haute voix, d'un ton
brusque, puis se tourna vers le pianiste et le pria de jouer quelque chose;
mais il ne causa que de la surprise et ne troubla que momentanement
l'attention qu'on pretait au conteur. Fascine, en quelque sorte, par les
regards qui semblaient lui demander compte de son tapage, il courba la
tete, et revint soucieux, consterne, s'asseoir aupres de son ami, tandis
que l'imperturbable juge reprenait:
"Deux annees plus tard, une femme plus que sexagenaire, demeurant rue
Saint-Jacques, et bien connue aux alentours sous le nom de _mere Durand_,
etait etranglee et volee, a trois heures de l'apres-midi, dans une chambre
qui n'etait separee que par une cloison d'une boutique ou l'on venait
manger a toute heure du jour.
"La vitrine de la rue n'avait point de rideaux; du dehors, on voyait le
comptoir a gauche, les fourneaux a droite; plus loin se dressaient les
tables. Sur le feu des fourneaux, les marmites exhalaient leurs odeurs
habituelles; des clients attendaient la maitresse du logis et
s'impatientaient de ne pas la voir. Las d'appeler et de frapper les verres
de leurs couteaux, deux d'entre eux allerent questionner l'epicier voisin
sur l'absence prolongee de l'hotesse. L'epicier presuma que la vieille
femme avait ete prise d'une indisposition subite dans sa chambre du fond.
Plus hardi que les ouvriers, il penetra dans cette chambre et y trouva
effectivement la pauvre vieille renversee a terre et ne donnant plus aucun
signe de vie. A l'une de ses mains pendait un trousseau de clefs, de
l'autre elle serrait une piece de vingt francs, et la direction de son
corps indiquait qu'au moment de sa chute elle se disposait a ouvrir son
armoire. Pendant qu'un autre voisin, patissier de son etat, se chargeait
d'eteindre les fourneaux, on courut chercher un medecin. Il en vint deux
successivement. Le premier jeta un coup d'oeil hatif sur le cadavre et
declara aussitot qu'elle etait morte d'apoplexie foudroyante; mais l'autre,
moins presse ou plus consciencieux, a la suite d'un examen attentif,
constata a la figure et a la gorge des traces de violence, et affirma que
cette vieille femme avait peri par la strangulation. Une
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