pere si positif, si terre a terre, si lourd, pour qui le mot "poesie"
signifiait sottise.
Donc, ce Marechal, jeune, libre, riche, pret a toutes les tendresses,
etait entre, un jour, par hasard, dans une boutique, ayant remarque
peut-etre la jolie marchande. Il avait achete, etait revenu, avait
cause, de jour en jour plus familier, et payant par des acquisitions
frequentes le droit de s'asseoir dans cette maison, de sourire a la
jeune femme et de serrer la main du mari.
Et puis apres... apres... oh! mon Dieu... apres?...
Il avait aime et caresse le premier enfant, l'enfant du bijoutier,
jusqu'a la naissance de l'autre, puis il etait demeure impenetrable
jusqu'a la mort, puis, son tombeau ferme, sa chair decomposee, son nom
efface des noms vivants, tout son etre disparu pour toujours, n'ayant
plus rien a menager, a redouter et a cacher, il avait donne toute
sa fortune au deuxieme enfant!... Pourquoi?... Cet homme etait
intelligent... il avait du comprendre et prevoir qu'il pouvait, qu'il
allait presque infailliblement laisser supposer que cet enfant etait a
lui.--Donc il deshonorait une femme? Comment aurait-il fait cela si Jean
n'etait point son fils?
Et soudain un souvenir precis, terrible, traversa l'ame de Pierre.
Marechal avait ete blond, blond comme Jean. Il se rappelait maintenant
un petit portrait miniature vu autrefois, a Paris, sur la cheminee de
leur salon, et disparu a present. Ou etait-il? Perdu, ou cache! Oh! s'il
pouvait le tenir rien qu'une seconde? Sa mere l'avait garde peut-etre
dans le tiroir inconnu ou l'on serre les reliques d'amour.
Sa detresse, a cette pensee, devint si dechirante qu'il poussa un
gemissement, une de ces courtes plaintes arrachees a la gorge par les
douleurs trop vives. Et soudain, comme si elle l'eut entendu, comme si
elle l'eut compris et lui eut repondu, la sirene de la jetee hurla tout
pres de lui. Sa clameur de monstre surnaturel, plus retentissante que le
tonnerre, rugissement sauvage et formidable fait pour dominer les
voix du vent et des vagues, se repandit dans les tenebres sur la mer
invisible ensevelie sous les brouillards.
Alors, a travers la brume, proches ou lointains, des cris pareils
s'eleverent de nouveau dans la nuit. Ils etaient effrayants, ces appels
pousses par les grands paquebots aveugles.
Puis tout se tut encore.
Pierre avait ouvert les yeux et regardait, surpris d'etre la, reveille
de son cauchemar.
"Je suis fou, pensa-t-il, je soupconne
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