proposes ils avaient repete, l'un et l'autre, leurs
arguments. Elle pretendait que le client, le plaideur a besoin d'etre
impressionne, qu'il doit ressentir, en entrant dans le salon d'attente,
l'emotion de la richesse.
Jean au contraire, desirant n'attirer que la clientele elegante et
opulente, voulait conquerir l'esprit des gens fins par son gout modeste
et sur.
Et la discussion, qui avait dure toute la journee, reprit des le potage.
Roland n'avait pas d'opinion. Il repetait:
--Moi, je ne veux entendre parler de rien. J'irai voir quand ce sera
fini.
Mme Roland fit appel au jugement de son fils aine:
--Voyons, toi, Pierre, qu'eu penses-tu?
11 avait les nerfs tellement surexcites qu'il eut envie de repondre par
un juron. Il dit cependant sur un ton sec, ou vibrait son irritation:
--Oh! moi, je suis tout a fait de l'avis de Jean. Je n'aime que la
simplicite, qui est, quand il s'agit de gout, comparable a la droiture
quand il s'agit de caractere.
Sa mere reprit:
--Songe que nous habitons une ville de commercants, ou le bon gout ne
court pas les rues.
Pierre repondit:
--Et qu'importe? Est-ce une raison pour imiter les sots? Si mes
compatriotes sont betes ou malhonnetes, ai-je besoin de suivre leur
exemple? Une femme ne commettra pas une faute pour cette raison que ses
voisines ont des amants.
Jean se mit a rire:
--Tu as des arguments par comparaison qui semblent pris dans les maximes
d'un moraliste.
Pierre ne repliqua point. Sa mere et son frere recommencerent a parler
d'etoffes et de fauteuils.
Il les regardait comme il avait regarde sa mere, le matin, avant de
partir pour Trouville; il les regardait en etranger qui observe, et il
se croyait en effet entre tout a coup dans une famille inconnue.
Son pere, surtout, etonnait son oeil et sa pensee. Ce gros homme
flasque, content et niais, c'etait son pere, a lui! Non, non, Jean ne
lui ressemblait en rien.
Sa famille! Depuis deux jours une main inconnue et malfaisante, la main
d'un mort, avait arrache et casse, un a un, tous les liens qui tenaient
l'un a l'autre ces quatre etres. C'etait fini, c'etait brise. Plus de
mere, car il ne pourrait plus la cherir, ne la pouvant venerer avec ce
respect absolu, tendre et pieux, dont a besoin le coeur des fils; plus
de frere, puisque ce frere etait l'enfant d'un etranger; il ne lui
restait qu'un pere, ce gros homme, qu'il n'aimait pas, malgre lui.
Et tout a coup:
--Dis donc, maman, as-tu re
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