ALTESSE LE PRINCE NAPOLEON (JEROME) A PARIS
Nohant, 7 janvier 1862.
Cher prince,
Nous avons ete heureux _plus que des rois_, de la bonne nouvelle
annoncee dans les journaux, et nous avons passe toute la journee a faire
des romans sur ce fils ou sur cette fille que le ciel vous promet. Venir
de vous, et du grand Napoleon aussi, par consequent, de l'heroique
Victor-Emmanuel et de sa fille, qu'on dit adorable, ce n'est pas une
petite chance, et on ne peut pas etre un esprit ni un coeur comme tout
le monde. Pourvu que cet etre-la ait une destinee assortie a sa valeur!
nous etions tous les trois a deviser en dinant, et nous nous sommes
lache du vin de Champagne pour boire a sa sante et a son destin, et nous
avons dit toute sorte de choses que je ne veux pas vous redire dans une
lettre, mais que vous devinez bien.
J'ai envoye a Buloz la premiere partie du voyage de Maurice, qui ne
traite que du temps qu'il a passe seul a Alger; c'est amusant, mais sans
interet direct pour vous. Il acheve la seconde partie, qui vous sera
envoyee avant d'etre remise a Buloz; mais la premiere partie est
accompagnee d'une petite preface de moi que Buloz vous portera ou vous
enverra s'il n'est pas malade,--car il l'est continuellement,--et qu'il
n'imprimera qu'avec votre agrement. Si vous avez des observations a me
faire, vous m'ecrirez avec votre belle et bonne franchise, et je vous
ecouterai avec tout mon coeur.
Une chose me contrarie bien quand je parle de vous hors de l'intimite,
c'est que vous soyez un grand personnage. Le monde est si sale et si
plat; qu'on ne peut pas supposer qu'on aime un prince pour lui-meme, et
je suis forcee a une reserve que je n'aurais pas pour un camarade que
j'aimerais beaucoup moins.
Ou bien, si on brave ces meprisables soupcons, comme, au bout du compte,
on doit le faire quand on est fort de sa droiture, on a l'air de le
faire par sotte vanite, et pour proclamer une amitie que les autres
envient. Vous verrez si j'ai su passer a travers ces ecueils.
_Republicaine toujours!_ mais, convaincue que vous seriez le meilleur
chef d'une republique, ou la _meilleure compensation_ a une republique
impuissante a renaitre, je me moque pour mon compte de l'accusation de
_trahison_ que quelques-uns ne m'epargnent pas; mais, a propos d'un
travail aussi jeune et aussi riant que celui de Maurice, je n'avais pas
a faire une profession de foi, a tous egards intempestive; je me suis
born
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