s vis s'enfoncer
dans l'ombre.
Alors il me sembla tout a coup que je venais d'etre fait orphelin,
d'etre abandonne, pousse au ruisseau. Une tristesse epouvantable, melee
de colere, de haine, de degout, m'envahit; j'avais comme un soulevement
de tout mon etre, un soulevement de la justice, de la droiture, de
l'honneur, de l'affection rejetee. Je me mis a courir pour les rejoindre
le long de la Seine qu'il leur fallait suivre pour gagner la gare de
Chatou.
--Je les rattrapai bientot. La nuit etait venue toute noire. J'allais a
pas de loup sur l'herbe, de sorte qu'ils ne m'entendirent pas. Ma
mere pleurait toujours. Mon pere disait: "C'est votre faute. Pourquoi
avez-vous tenu a le voir? C'etait une folie dans notre position. On
aurait pu lui faire du bien de loin, sans se montrer. Puisque nous ne
pouvons le reconnaitre, a quoi servaient ces visites dangereuses?"
Alors, je m'elancai devant eux, suppliant. Je balbutiai: "Vous voyez
bien que vous etes mes parents. Vous m'avez deja rejete une fois, me
repousserez-vous encore?"
Alors, mon president, il leva la main sur moi, je vous le jure sur
l'honneur, sur la loi, sur la Republique. Il me frappa, et comme je le
saisissais au collet, il tira de sa poche un revolver.
J'ai vu rouge, je ne sais plus, j'avais mon compas dans ma poche; je
l'ai frappe, frappe tant que j'ai pu.
Alors elle s'est mise a crier: "Au secours! a l'assassin!" en
m'arrachant la barbe. Il parait que je l'ai tuee aussi. Est-ce que je
sais, moi, ce que j'ai fait a ce moment-la?
Puis, quand je les ai vus tous les deux par terre, je les ai jetes a la
Seine, sans reflechir.
Voila.--Maintenant, jugez-moi.
* * * * *
L'accuse se rassit. Devant cette revelation, l'affaire a ete reportee
a la session suivante. Elle passera bientot. Si nous etions jures, que
ferions-nous de ce parricide?
LE RENDEZ-VOUS
Le Rendez-vous
Son chapeau sur la tete, son manteau sur le dos, un voile noir sur le
nez, un autre dans sa poche dont elle doublerait le premier quand elle
serait montee dans le fiacre coupable, elle battait du bout de son
ombrelle la pointe de sa bottine, et demeurait assise dans sa chambre,
ne pouvant se decider a sortir pour aller a ce rendez-vous.
Combien de fois, pourtant, depuis deux ans, elle s'etait habillee ainsi,
pendant les heures de Bourse de son mari, un agent de change tres
mondain, pour rejoindre dans son logis de garcon le beau v
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