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des yeux qui me parurent etranges. "Il fait trop chaud, maintenant,
dit-elle; allons donc la-bas, sur le canape." Et nous voila partis sur
le canape. Puis tout a coup, me regardant bien en face: "Qu'est-ce que
vous feriez si une femme vous disait qu'elle vous aime?"
Je repondis, fort interloque: "Ma foi, le cas n'est pas prevu, et puis,
ca dependrait de la femme."
Alors, elle se mit a rire, d'un rire sec, nerveux, fremissant, un de ces
rires faux qui semblent devoir casser les verres fins, et elle ajouta:
"Les hommes ne sont jamais audacieux ni malins."
Elle se tut, puis reprit:
"Avez-vous quelquefois ete amoureux, monsieur Paul?"
Je l'avouai, oui, j'avais ete amoureux.
"Racontez-moi ca," dit-elle.
Je lui racontai une histoire quelconque. Elle m'ecoutait attentivement,
avec des marques frequentes d'improbation et de mepris; et soudain:
"Non, vous n'y entendez rien. Pour que l'amour fut bon, il faudrait, il
me semble, qu'il bouleversat le coeur, tordit les nerfs et ravageat la
tete; il faudrait qu'il fut--comment dirai-je?--dangereux, terrible
meme, presque criminel, presque sacrilege, qu'il fut une sorte de
trahison; je veux dire qu'il a besoin de rompre des obstacles sacres,
des lois, des liens fraternels; quand l'amour est tranquille, facile,
sans perils, legal, est-ce bien de l'amour?"
Je ne savais plus quoi repondre, et je jetais en moi-meme cette
exclamation philosophique: O cervelle feminine, te voila bien!
Elle avait pris, en parlant, un petit air indifferent, sainte-nitouche;
et, appuyee sur les coussins, elle s'etait allongee, couchee, la tete
contre mon epaule, la robe un peu relevee, laissant voir un bas de soie
rouge que les eclats du foyer enflammaient par instants.
Au bout d'une minute: "Je vous fais peur", dit-elle. Je protestai. Elle
s'appuya tout a fait contre ma poitrine et, sans me regarder: "Si je
vous disais, moi, que je vous aime, que feriez-vous?" Et avant que
j'eusse pu trouver ma reponse, ses bras avaient pris mon cou, avaient
attire brusquement ma tete, et ses levres joignaient les miennes. Ah!
ma chere amie, je vous reponds que je ne m'amusais pas! Quoi! tromper
Julien? devenir l'amant de cette petite folle perverse et rusee,
effroyablement sensuelle sans doute, a qui son mari deja ne suffisait
plus! Trahir sans cesse, tromper toujours, jouer l'amour pour le seul
attrait du fruit defendu, du danger brave, de l'amitie trahie! Non, cela
ne m'allait guere. Mais que faire
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