parfaitement.
Mme Bombard qui n'avait rien a faire se couchait tot, tandis que Bombard
qui jouait au whist, au cafe du Commerce, rentrait chaque jour a neuf
heures et demie precises. Il imagina de faire attendre Victorine dans le
couloir de sa maison, sur les marches du vestibule, dans l'obscurite.
Il avait cinq minutes au plus, car il redoutait toujours une surprise;
mais enfin cinq minutes de temps en temps suffisaient a son ardeur, et
il glissait un louis, car il etait large en ses plaisirs, dans la main
de la servante, qui remontait bien vite a son grenier.
Et il riait, il triomphait tout seul, il repetait tout haut, comme le
barbier du roi Midas, dans les roseaux du fleuve, en pechant l'ablette:
--Fichue dedans, la patronne.
Et le bonheur de ficher dedans Mme Bombard equivalait, certes, pour lui,
a tout ce qu'avait d'imparfait et d'incomplet sa conquete a gages.
* * * * *
Or, un soir, il trouva comme d'habitude Victorine l'attendant sur les
marches, mais elle lui parut plus vive, plus animee que d'habitude, et
il demeura peut-etre dix minutes au rendez-vous du corridor.
Quand il entra dans la chambre conjugale, Mme Bombard n'y etait pas. Il
sentit un grand frisson froid qui lui courait dans le dos et il tomba
sur une chaise, torture d'angoisse.
Elle apparut, un bougeoir a la main.
Il demanda, tremblant:
--Tu etais sortie?
Elle repondit tranquillement:
--Je ete dans la cuisine boire un verre d'eau.
Il s'efforca de calmer les soupcons qu'elle pouvait avoir; mais elle
semblait tranquille, heureuse, confiante; et il se rassura.
Quand ils penetrerent, le lendemain, dans la salle a manger pour
dejeuner, Victorine mit sur la table les cotelettes.
Comme elle se relevait, Mme Bombard lui tendit un louis qu'elle tenait
delicatement entre deux doigts, et lui dit, avec son accent calme et
serieux:
--Tene, ma fille, voila vingt francs dont j'ave prive vo, hier au soir.
Je vo les rende.
Et la fille interdite prit la piece d'or qu'elle regardait d'un air
stupide, tandis que Bombard, effare, ouvrait sur sa femme des yeux
enormes.
LE PAIN MAUDIT
Le Pain maudit
I
Le pere Taille avait trois filles. Anna, l'ainee, dont on ne parlait
guere dans la famille, Rose, la cadette, agee maintenant de dix-huit
ans, et Claire, la derniere, encore gosse, qui venait de prendre son
quinzieme printemps.
Le pere Taille, veuf aujourd'hui, etait maitre me
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