dessus, l'etreint avec violence, et s'en va,
escortee des deux mioches et des deux bonnes, vers la longue et sombre
et deserte promenade du Cours-la-Reine.
Je rentrai effare, l'esprit en detresse, comprenant et ne comprenant
pas, n'osant point deviner.
Quand elle revint pour diner, je me jetai vers elle, hurlant:
--Quels sont ces enfants?
--Quels enfants?
--Ceux que vous attendiez au train de Saint-Sever?
Elle poussa un grand cri et s'evanouit. Quand elle revint a elle, elle
me confessa, dans un deluge de larmes qu'elle en avait quatre. Oui,
monsieur, deux pour le mardi, deux filles, et deux pour le vendredi,
deux garcons.
Et c'etait la--quelle honte!--c'etait la l'origine de sa fortune.--Les
quatre peres!... Elle avait amasse sa dot.
Maintenant, monsieur, que me conseillez-vous de faire?
L'avocat repondit avec gravite:
--Reconnaitre vos enfants, monsieur.
UNE SOIREE
Une Soiree
Le marechal des logis Varajou avait obtenu huit jours de permission pour
les passer chez sa soeur, Mme Padoie. Varajou, qui tenait garnison
a Rennes et y menait joyeuse vie, se trouvant a sec et mal avec sa
famille, avait ecrit a sa soeur qu'il pourrait lui consacrer une semaine
de liberte. Ce n'est point qu'il aimat beaucoup Mme Padoie, une petite
femme moralisante, devote, et toujours irritee; mais il avait besoin
d'argent, grand besoin, et il se rappelait que, de tous ses parents, les
Padoie etaient les seuls qu'il n'eut jamais ranconnes.
Le pere Varajou, ancien horticulteur a Angers, retire maintenant des
affaires, avait ferme sa bourse a son garnement de fils et ne le voyait
guere depuis deux ans. Sa fille avait epouse Padoie, ancien employe des
finances, qui venait d'etre nomme receveur des contributions a Vannes.
Donc Varajou, en descendant du chemin de fer, se fit conduire a la
maison de son beau-frere. Il le trouva dans son bureau, en train de
discuter avec des paysans bretons des environs. Padoie se souleva sur sa
chaise, tendit la main par-dessus sa table chargee de papiers, murmura:
"Prenez un siege, je suis a vous dans un instant", se rassit et
recommenca sa discussion.
Les paysans ne comprenaient point ses explications, le receveur ne
comprenait pas leurs raisonnements; il parlait francais, les autres
parlaient breton, et le commis qui servait d'interprete ne semblait
comprendre personne.
Ce fut long, tres long. Varajou considerait son beau-frere en songeant:
"Quel cretin!" Pado
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