'abord, j'allais peu dans la maison, craignant de gener leur tendresse,
me sentant de trop entre eux. Ils semblaient pourtant m'attirer,
m'appeler sans cesse, et m'aimer.
Peu a peu je me laissai seduire par le charme doux de cette vie commune;
et je dinais souvent chez eux; et souvent, rentre chez moi la nuit, je
songeais a faire comme lui, a prendre une femme, trouvant bien triste a
present ma maison vide.
Eux, paraissaient se cherir, ne se quittaient point. Or, un soir, Julien
m'ecrivit de venir diner. J'y allai. "Mon bon, dit-il, il va falloir que
je m'absente, en sortant de table, pour une affaire. Je ne serai pas de
retour avant onze heures; mais a onze heures precises, je rentrerai.
J'ai compte sur toi pour tenir compagnie a Berthe."
La jeune femme sourit: "C'est moi, d'ailleurs, qui ai eu l'idee de vous
envoyer chercher", reprit-elle.
Je lui serrai la main: "Vous etes gentille comme tout." Et je sentis sur
mes doigts une amicale et longue pression. Je n'y pris pas garde. On se
mit a table; et, des huit heures, Julien nous quittait.
Aussitot qu'il fut parti, une sorte de gene singuliere naquit
brusquement entre sa femme et moi. Nous ne nous etions encore jamais
trouves seuls, et, malgre notre intimite grandissant chaque jour, le
tete-a-tete nous placait dans une situation nouvelle. Je parlai d'abord
de choses vagues, de ces choses insignifiantes dont on emplit les
silences embarrassants. Elle ne repondit rien et restait en face de moi,
de l'autre cote de la cheminee, la tete baissee, le regard indecis, un
pied tendu vers la flamme, comme perdue en une difficile meditation.
Quand je fus a sec d'idees banales, je me tus. C'est etonnant comme il
est difficile quelquefois de trouver des choses a dire. Et puis, je
sentais du nouveau dans l'air, je sentais de l'invisible, un je ne
sais quoi impossible a exprimer, cet avertissement mysterieux qui vous
previent des intentions secretes, bonnes ou mauvaises, d'une autre
personne a votre egard.
Ce penible silence dura quelque temps. Puis Berthe me dit: "Mettez
donc une buche au feu, mon ami, vous voyez bien qu'il va s'eteindre."
J'ouvris le coffre a bois, place juste comme le votre, et je pris une
buche, la plus grosse buche, que je placai en pyramide sur les autres
morceaux aux trois quarts consumes.
Et le silence recommenca.
Au bout de quelques minutes, la buche flambait de telle facon qu'elle
nous grillait la figure. La jeune femme releva sur moi ses yeux
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