canicien dans la
fabrique de boutons de M. Lebrument. C'etait un brave homme, tres
considere, tres droit, tres sobre, une sorte d'ouvrier modele. Il
habitait rue d'Angouleme, au Havre.
Quand Anna avait pris la clef des champs, comme on dit, le vieux
etait entre dans une colere epouvantable; il avait menace de tuer
le seducteur, un blanc-bec, un chef de rayon d'un grand magasin de
nouveautes de la ville. Puis, on lui avait dit de divers cotes que la
petite se rangeait, qu'elle mettait de l'argent sur l'Etat, qu'elle ne
courait pas, liee maintenant avec un homme d'age, un juge au tribunal de
commerce, M. Dubois; et le pere s'etait calme.
Il s'inquietait meme de ce qu'elle faisait; demandait des renseignements
sur sa maison a ses anciennes camarades qui avaient ete la revoir; et
quand on lui affirmait qu'elle etait dans ses meubles et qu'elle avait
un tas de vases de couleur sur ses cheminees, des tableaux peints sur
les murs, des pendules dorees et des tapis partout, un petit sourire
content lui glissait sur les levres. Depuis trente ans il travaillait,
lui, pour amasser cinq ou six pauvres mille francs! La fillette n'etait
pas bete, apres tout!
Or, voila qu'un matin, le fils Touchard, dont le pere etait tonnelier au
bout de la rue, vint lui demander la main de Rose, la seconde. Le coeur
du vieux se mit a battre. Les Touchard etaient riches et bien poses; il
avait decidement de la chance dans ses filles.
La noce fut decidee; et on resolut qu'on la ferait d'importance. Elle
aurait lieu a Sainte-Adresse, au restaurant de la mere Jusa. Cela
couterait bon, par exemple, ma foi tant pis, une fois n'etait pas
coutume.
Mais un matin, comme le vieux etait rentre au logis pour dejeuner, au
moment ou il se mettait a table avec ses deux filles, la porte s'ouvrit
brusquement et Anna parut. Elle avait une toilette brillante, et des
bagues, et un chapeau a plume. Elle etait gentille comme un coeur avec
tout ca. Elle sauta au cou du pere, qui n'eut pas le temps de dire
"ouf", puis elle tomba en pleurant dans les bras de ses deux soeurs,
puis elle s'assit en s'essuyant les yeux et demanda une assiette pour
manger la soupe avec la famille. Cette fois, le pere Taille fut attendri
jusqu'aux larmes a son tour, et il repeta a plusieurs reprises: "C'est
bien, ca, petite, c'est bien, c'est bien." Alors, elle dit tout de
suite son affaire.--Elle ne voulait pas qu'on fit la noce de Rose a
Sainte-Adresse, elle ne voulait pas, ah! mais no
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