la couche d'un sultan; elle etait digne, par sa fidelite, de
ton amour, et, par sa douceur, de l'amitie et du respect que j'avais pour
elle. Tu m'avais dit: "Je la sauverai de l'incendie. J'irai d'abord a elle,
je la prendrai dans mes bras, je la porterai sur mon navire." Et je te
croyais, et je n'aurais jamais pense que tu fusses capable de
l'abandonner.
"Cependant, non content de la livrer aux flammes, et craignant sans doute
que je ne volasse a son secours, tu as ete la trouver et lu l'as frappee
de ton poignard. Je l'ai vue baignee dans son sang, et je me suis dit:
L'homme qui s'attaque a ce qui est fort est grand, car il est brave;
l'homme qui brise ce qui est faible est meprisable, car il est lache; et
j'ai pleure ta femme, et j'ai jure sur son cadavre que, le jour ou tu
voudrais me traiter comme elle, sa mort serait vengee.
"Cependant je t'ai vu souffrir, j'ai cru a tes larmes, et je t'ai
pardonne. Je t'ai suivi a Venise; je t'ai ete fidele et devouee comme le
chien l'est a celui qui le nourrit, comme le cheval l'est a celui qui lui
passe le mors et la bride. J'ai dormi a terre, en travers de ta porte,
comme la panthere au seuil de l'antre ou reposent ses petits. Je n'ai
jamais adresse la parole a un autre que toi; je n'ai jamais fait entendre
une plainte, et mon regard meme ne t'a jamais adresse un reproche. Tu as
rassemble dans ton palais des compagnons de debauche; tu t'es entoure
d'odalisques et de bayaderes. Je leur ai presente moi-meme les plats d'or,
et j'ai rempli leurs coupes du vin que la loi de Mahomet me defendait de
porter a mes levres. J'ai accepte tout ce qui te plaisait, tout ce qui te
semblait necessaire ou agreable. La jalousie n'etait pas un sentiment fait
pour moi. Il me semblait, d'ailleurs, avoir change de sexe en changeant
d'habit. Je me croyais ton frere, ton fils, ton ami; et, pourvu que tu me
traitasses avec amitie, avec confiance, je me trouvais heureuse.
"Tu as voulu te remarier; tu as eu le tort de me le cacher. Je savais deja
la langue que tu me croyais incapable de jamais apprendre. Je savais tout
ce que tu faisais. Je ne t'aurais jamais contrarie dans ton projet;
j'eusse aime et respecte ta femme, je l'eusse servie comme ma patronne
legitime, car on la disait aussi belle, aussi chaste, aussi douce que la
premiere. Et si elle eut ete perfide, si elle eut manque a ses devoirs en
tramant quelque complot contre toi, je t'aurais aide a la faire mourir.
Cependant tu me craignais, et
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