re, avoir un beau et bon
regiment a moi. Avec cet honneur-la, je puis etre duc et pair.
La tache que vient de m'imprimer cette femme, cette douleur avec
laquelle elle vient de briser mon coeur, a moi, Raoul, son ami
d'enfance, ne touche en rien M. de Bragelonne, bon officier, brave
capitaine qui se couvrira de gloire a la premiere rencontre, et
qui deviendra cent fois plus que n'est aujourd'hui Mlle de La
Valliere, la maitresse du roi; car le roi n'epousera pas Mlle de
La Valliere, et plus il la declarera publiquement sa maitresse,
plus il epaissira le bandeau de honte qu'il lui jette au front en
guise de couronne, et, a mesure qu'on la meprisera comme je la
meprise, moi, je me glorifierai.
Helas! nous avions marche ensemble, elle et moi, pendant le
premier, pendant le plus beau tiers de notre vie, nous tenant par
la main le long du sentier charmant et plein de fleurs de la
jeunesse, et voila que nous arrivons a un carrefour ou elle se
separe de moi, ou nous allons suivre une route differente qui ira
nous ecartant toujours davantage l'un de l'autre; et, pour
atteindre le bout de ce chemin, Seigneur, je suis seul, je suis
desespere, je suis aneanti!
O malheureux!...
Raoul en etait la de ses reflexions sinistres, quand son pied se
posa machinalement sur le seuil de sa maison. Il etait arrive la
sans voir les rues par lesquelles il passait, sans savoir comment
il etait venu; il poussa la porte, continua d'avancer et gravit
l'escalier.
Comme dans la plupart des maisons de cette epoque, l'escalier
etait sombre et les paliers etaient obscurs. Raoul logeait au
premier etage; il s'arreta pour sonner. Olivain parut, lui prit
des mains l'epee et le manteau. Raoul ouvrit lui-meme la porte
qui, de l'antichambre, donnait dans un petit salon assez richement
meuble pour un salon de jeune homme, et tout garni de fleurs par
Olivain, qui, connaissant les gouts de son maitre, s'etait
empresse d'y satisfaire, sans s'inquieter s'il s'apercevrait ou ne
s'apercevrait pas de cette attention.
Il y avait dans le salon un portrait de La Valliere que La
Valliere elle-meme avait dessine et avait donne a Raoul. Ce
portrait, accroche au-dessus d'une grande chaise longue recouverte
de damas de couleur sombre, fut le premier point vers lequel Raoul
se dirigea, le premier objet sur lequel il fixa les yeux. Au
reste, Raoul cedait a son habitude; c'etait, chaque fois qu'il
rentrait chez lui, ce portrait qui, avant toute chose, attirait
se
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