i de ce maitre aux idees
si nettes, a la volonte si droite. Il savait qu'Athos n'avait rien
emporte que ce qu'il avait sur lui, et, cependant, il croyait voir
qu'Athos ne partait pas pour une heure, pas meme pour un jour. Il
y avait une longue absence dans la facon dont Athos, en quittant
Grimaud, avait prononce le mot adieu.
Tout cela lui revenait a l'esprit avec tous ses sentiments
d'affection profonde pour Athos, avec cette horreur du vide et de
la solitude qui toujours occupe l'imagination des gens qui aiment;
tout cela, disons-nous, rendit l'honnete Grimaud fort triste et
surtout fort inquiet.
Sans se rendre compte de ce qu'il faisait depuis le depart de son
maitre, il errait par tout l'appartement, cherchant, pour ainsi
dire, les traces de son maitre, semblable, en cela, tout ce qui
est bon se ressemble, au chien, qui n'a pas d'inquietude sur son
maitre absent, mais qui a de l'ennui. Seulement, comme a
l'instinct de l'animal Grimaud joignait la raison de l'homme,
Grimaud avait a la fois de l'ennui et de l'inquietude.
N'ayant trouve aucun indice qui put le guider, n'ayant rien vu ou
rien decouvert qui eut fixe ses doutes, Grimaud se mit a imaginer
ce qui pouvait etre arrive. Or, l'imagination est la ressource ou
plutot le supplice des bons coeurs. En effet, jamais il n'arrive
qu'un bon coeur se represente son ami heureux ou allegre. Jamais
le pigeon qui voyage n'inspire autre chose que la terreur au
pigeon reste au logis.
Grimaud passa donc de l'inquietude a la terreur. Il recapitula
tout ce qui s'etait passe: la lettre de d'Artagnan a Athos, lettre
a la suite de laquelle Athos avait paru si chagrin; puis la visite
de Raoul a Athos, visite a la suite de laquelle Athos avait
demande ses ordres et son habit de ceremonie; puis cette entrevue
avec le roi, entrevue a la suite de laquelle Athos etait rentre si
sombre; puis cette explication entre le pere et le fils,
explication a la suite de laquelle Athos avait si tristement
embrasse Raoul, tandis que Raoul s'en allait si tristement chez
lui; enfin l'arrivee de d'Artagnan mordant sa moustache, arrivee a
la suite de laquelle M. le comte de La Fere etait monte en
carrosse avec d'Artagnan. Tout cela composait un drame en cinq
actes fort clair, surtout pour un analyste de la force de Grimaud.
Et d'abord Grimaud eut recours aux grands moyens; il alla chercher
dans le justaucorps laisse par son maitre la lettre de
M. d'Artagnan. Cette lettre s'y trouvait encore,
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