enez rien de nouveau, dit le prisonnier en
froncant le sourcil.
-- Comment cela?
-- Je m'en doutais.
-- Pourquoi?
-- Je vais vous le dire.
En ce moment, le jeune homme, s'appuyant sur ses deux coudes,
s'approcha du visage d'Aramis avec une telle expression de
dignite, d'abnegation, de defi meme, que l'eveque sentit
l'electricite de l'enthousiasme monter en etincelles devorantes de
son coeur fletri a son crane dur comme l'acier.
-- Parlez, monseigneur. Je vous ai deja dit que j'expose ma vie en
vous parlant. Si peu que soit ma vie, je vous supplie de la
recevoir comme rancon de la votre.
-- Eh bien! reprit le jeune homme, voici pourquoi je soupconnais
que l'on avait tue ma nourrice et mon gouverneur.
-- Que vous appeliez votre pere.
-- Oui, que j'appelais mon pere, mais dont je savais bien que je
n'etais pas le fils.
-- Qui vous avait fait supposer?...
-- De meme que vous etes, vous, trop respectueux pour un ami, lui
etait trop respectueux pour un pere.
-- Moi, dit Aramis, je n'ai pas le dessein de me deguiser.
Le jeune homme fit un signe de tete et continua:
-- Sans doute, je n'etais pas destine a demeurer eternellement
enferme, dit le prisonnier, et ce qui me le fait croire,
maintenant surtout, c'est le soin qu'on prenait de faire de moi un
cavalier aussi accompli que possible. Le gentilhomme qui etait
pres de moi m'avait appris tout ce qu'il savait lui-meme: les
mathematiques, un peu de geometrie, d'astronomie, l'escrime, le
manege. Tous les matins, je faisais des armes dans une salle
basse, et montais a cheval dans le jardin. Eh bien! un matin,
c'etait pendant l'ete, car il faisait une grande chaleur, je
m'etais endormi dans cette salle basse. Rien, jusque-la, ne
m'avait, excepte le respect de mon gouverneur, instruit ou donne
des soupcons. Je vivais comme les oiseaux, comme les plantes,
d'air et de soleil; je venais d'avoir quinze ans.
-- Alors, il y a huit ans de cela?
-- Oui, a peu pres; j'ai perdu la mesure du temps.
-- Pardon, mais que vous disait votre gouverneur pour vous
encourager au travail?
-- Il me disait qu'un homme doit chercher a se faire sur la terre
une fortune que Dieu lui a refusee en naissant; il ajoutait que,
pauvre, orphelin, obscur, je ne pouvais compter que sur moi, et
que nul ne s'interessait ou ne s'interesserait jamais a ma
personne. J'etais donc dans cette salle basse, et, fatigue par ma
lecon d'escrime, je m'etais endormi. Mon gouverneur etait
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