esesperez, monseigneur! s'ecriat-il en frappant du
poing sur le fauteuil.
-- Et moi, je ne vous comprends pas monsieur.
-- Eh bien! tachez de me comprendre.
Le prisonnier regarda fixement Aramis.
-- Il me semble parfois, continua celui-ci, que j'ai devant les
yeux l'homme que je cherche... et puis...
-- Et puis... cet homme disparait, n'est-ce pas? dit le prisonnier
en souriant. Tant mieux!
-- Decidement, reprit-il, je n'ai rien a dire a un homme qui se
defie de moi au point que vous le faites.
-- Et moi, ajouta le prisonnier du meme ton, rien a dire a l'homme
qui ne veut pas comprendre qu'un prisonnier doit se defier de
tout.
-- Meme de ses anciens amis? dit Aramis. Oh! c'est trop de
prudence, monseigneur!
-- De mes anciens amis? vous etes un de mes anciens amis, vous?
-- Voyons, dit Aramis, ne vous souvient-il donc plus d'avoir vu
autrefois, dans le village ou s'ecoula votre premiere enfance?...
-- Savez-vous le nom de ce village? demanda le prisonnier.
-- Noisy-le-Sec, monseigneur, repondit fermement Aramis.
-- Continuez, dit le jeune homme sans que son visage avouat ou
niat.
-- Tenez, monseigneur, dit Aramis, si vous voulez absolument
continuer ce jeu, restons-en la. Je viens pour vous dire beaucoup
de choses, c'est vrai; mais il faut me laisser voir que ces
choses, vous avez, de votre cote, le desir de les connaitre. Avant
de parler, avant de declarer les choses si importantes que je
recele en moi, convenez-en, j'eusse eu besoin d'un peu d'aide
sinon de franchise, d'un peu de sympathie sinon de confiance. Eh
bien! vous vous tenez renferme dans une pretendue ignorance qui me
paralyse... Oh! non pas pour ce que vous croyez; car, si fort
ignorant que vous soyez, ou si fort indifferent que vous feigniez
d'etre, vous n'en etes pas moins ce que vous etes, monseigneur, et
rien, rien! entendez-vous bien, ne fera que vous ne le soyez pas.
-- Je vous promets, repondit le prisonnier, de vous ecouter sans
impatience. Seulement, il me semble que j'ai le droit de vous
repeter cette question que je vous ai deja faite: Qui etes-vous?
-- Vous souvient-il, il y a quinze ou dix-huit ans, d'avoir vu a
Noisy-le-Sec un cavalier qui venait avec une dame, vetue
ordinairement de soie noire, avec des rubans couleur de feu dans
les cheveux?
-- Oui, dit le jeune homme: une fois j'ai demande le nom de ce
cavalier, et l'on m'a dit qu'il s'appelait l'abbe d'Herblay. Je me
suis etonne que cet abbe eut l'ai
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