ranges. Ce carre lumineux grandit de dix heures a midi, et
decroit de une heure a trois, lentement, comme si, ayant eu hate
de venir, il avait regret de me quitter. Quand son dernier rayon
disparait, j'ai joui quatre heures de sa presence. Est-ce que ca
ne suffit pas? on m'a dit qu'il y avait des malheureux qui
creusaient des carrieres, des ouvriers qui travaillaient aux
mines, et qui ne le voyaient jamais.
Aramis s'essuya le front.
-- Quant aux etoiles, qui sont douces a voir, continua le jeune
homme, elles se ressemblent toutes, sauf l'eclat et la grandeur.
Moi, je suis favorise; car, si vous n'eussiez allume cette bougie,
vous eussiez pu voir la belle etoile que je voyais de mon lit
avant votre arrivee, et dont le rayonnement caressait mes yeux.
Aramis baissa la tete: il se sentait submerge, sous le flot amer
de cette sinistre philosophie qui est la religion de la captivite.
-- Voila donc pour les fleurs, pour l'air, pour le jour et pour
les etoiles, dit le jeune homme avec la meme tranquillite. Reste
la promenade. Est-ce que, toute la journee, je ne me promene pas
dans le jardin du gouverneur s'il fait beau, ici s'il pleut, au
frais s'il fait chaud, au chaud s'il fait froid, grace a ma
cheminee pendant l'hiver? Ah! croyez-moi, monsieur, ajouta le
prisonnier avec une expression qui n'etait pas exempte d'une
certaine amertume, les hommes ont fait pour moi tout ce que peut
esperer, tout ce que peut desirer un homme.
-- Les hommes, soit! dit Aramis en relevant la tete; mais il me
semble que vous oubliez Dieu.
-- J'ai, en effet, oublie Dieu, repondit le prisonnier sans
s'emouvoir; mais, pourquoi me dites-vous cela? A quoi bon parler
de Dieu aux prisonniers?
Aramis regarda en face ce singulier jeune homme qui avait la
resignation d'un martyr avec le sourire d'un athee.
-- Est-ce que Dieu n'est pas dans toutes choses? murmura-t-il d'un
ton de reproche.
-- Dites au bout de toute chose, repondit le prisonnier fermement.
-- Soit! dit Aramis; mais revenons au point d'ou nous sommes
partis.
-- Je ne demande pas mieux, fit le jeune homme.
-- Je suis votre confesseur.
-- Oui.
-- Eh bien! comme mon penitent, vous me devez la verite.
-- Je ne demande pas mieux que de vous la dire.
-- Tout prisonnier a commis le crime qui l'a fait mettre en
prison. Quel crime avez-vous commis, vous?
-- Vous m'avez deja demande cela, la premiere fois que vous m'avez
vu, dit le prisonnier.
-- Et vous avez el
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