ur sa vie d'aventures. Il se
demandait a lui-meme quels de ses anciens camarades il
retrouverait a la _setch_; il comptait ceux qui etaient deja
morts, ceux qui restaient encore vivants, et sa tete grise se
baissa tristement. Ses fils etaient occupes de toutes autres
pensees. Il faut que nous disions d'eux quelques mots. A peine
avaient-ils eu douze ans, qu'on les envoya au seminaire de Kiew,
car tous les seigneurs de ce temps-la croyaient necessaire de
donner a leurs enfants une education promptement oubliee. A leur
entree au seminaire, tous ces jeunes gens etaient d'une humeur
sauvage et accoutumes a une pleine liberte. Ce n'etait que la
qu'ils se degrossissaient un peu, et prenaient une espece de
vernis commun qui les faisait ressembler l'un a l'autre. L'aine
des fils de Boulba, Ostap, commenca sa carriere scientifique par
s'enfuir des la premiere annee. On l'attrapa, on le battit a
outrance, on le cloua a ses livres. Quatre fois il enfouit son ABC
en terre, et quatre fois, apres l'avoir inhumainement flagelle, on
lui en racheta un neuf. Mais sans doute il eut recommence une
cinquieme fois, si son pere ne lui eut fait la menace formelle de
le tenir pendant vingt ans comme frere lai dans un cloitre,
ajoutant le serment qu'il ne verrait jamais la _setch_, s'il
n'apprenait a fond tout ce qu'on enseignait a l'academie. Ce qui
est etrange, c'est que cette menace et ce serment venaient du
vieux Boulba qui faisait profession de se moquer de toute science,
et qui conseillait a ses enfants, comme nous l'avons vu, de n'en
faire aucun cas. Depuis ce moment, Ostap se mit a etudier ses
livres avec un zele extreme, et finit par etre repute l'un des
meilleurs etudiants. L'enseignement de ce temps-la n'avait pas le
moindre rapport avec la vie qu'on menait; toutes ces arguties
scolastiques, toutes ces finesses rhetoriques et logiques
n'avaient rien de commun avec l'epoque, et ne trouvaient
d'application nulle part. Les savants d'alors n'etaient pas moins
ignorants que les autres, car leur science etait completement
oiseuse et vide. Au surplus, l'organisation toute republicaine du
seminaire, cette immense reunion de jeunes gens dans la force de
l'age, devaient leur inspirer des desirs d'activite tout a fait en
dehors du cercle de leurs etudes. La mauvaise chere, les
frequentes punitions par la faim et les passions naissantes, tout
s'unissait pour eveiller en eux cette soif d'entreprises qui
devait, plus tard, se satisfaire dans la _
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