r ses joues halees. Sa moustache noire luisait
comme la soie.
-- Je n'ai pas la force de te rendre grace, genereux chevalier,
dit-elle d'une voix tremblante. Dieu seul peut te recompenser...
Elle baissa les yeux, que couvrirent des blanches paupieres,
garnies de longs cils sombres. Toute sa tete se pencha, et une
legere rougeur colora le bas de son visage. Andry ne savait que
lui repondre. Il aurait bien voulu lui exprimer tout ce que
ressentait son ame, et l'exprimer avec autant de feu qu'il le
sentait, mais il ne put y parvenir. Sa bouche semblait fermee par
une puissance inconnue; le son manquait a sa voix. Il reconnut que
ce n'etait pas a lui, eleve au seminaire, et menant depuis une vie
guerriere et nomade, qu'il appartenait de repondre, et il
s'indigna contre sa nature de Cosaque.
A ce moment, la Tatare entra dans la chambre. Elle avait eu deja
le temps de couper en morceaux le pain qu'avait apporte Andry, et
elle le presenta a sa maitresse sur un plateau d'or. La jeune
femme la regarda, puis regarda le pain, puis arreta enfin ses yeux
sur Andry. Ce regard, emu et reconnaissant, ou se lisait
l'impuissance de s'exprimer avec la langue, fut mieux compris
d'Andry que ne l'eussent ete de longs discours. Son ame se sentit
legere; il lui sembla qu'on l'avait deliee. Il allait parler,
quand tout a coup la jeune femme se tourna vers sa suivante, et
lui dit avec inquietude:
-- Et ma mere? lui as-tu porte du pain?
-- Elle dort.
-- Et a mon pere?
-- Je lui en ai porte. Il a dit qu'il viendrait lui meme remercier
le chevalier.
Rassuree, elle prit le pain et le porta a ses levres. Andry la
regardait avec une joie inexprimable rompre ce pain et le manger
avidement, quand tout a coup il se rappela ce fou furieux qu'il
avait vu mourir pour avoir devore un morceau de pain. Il palit et,
la saisissant par le bras:
-- Assez, lui dit-il, ne mange pas davantage. Il y a si longtemps
que tu n'as pris de nourriture que le pain te ferait mal.
Elle laissa aussitot retomber son bras, et, deposant le pain sur
le plateau, elle regarda Andry comme eut fait un enfant docile.
-- O ma reine! s'ecria Andry avec transport, ordonne ce que tu
voudras. Demande-moi la chose la plus impossible qu'il y ait au
monde; je courrai t'obeir. Dis-moi de faire ce que ne ferait nul
homme, je le ferai; je me perdrai pour toi. Ce me serait si doux,
je le jure par la Sainte Croix, que je ne saurais te dire combien
ce me serait doux. J'ai t
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