sais
qu'il y a des gens parmi vous qui, si Dieu leur envoie du butin,
se mettent a dechirer les etoffes de soie pour s'en faire des bas.
Abandonnez cette habitude du diable; ne vous chargez pas de
jupons; prenez seulement les armes, quand elles sont bonnes, ou
les ducats et l'argent, car cela tient peu de place et sert
partout. Mais que je vous dise encore une chose, seigneurs: si
quelqu'un de vous s'enivre a la guerre, je ne le ferai pas meme
juger. Je le ferai trainer comme un chien jusqu'aux chariots, fut-
il le meilleur Cosaque de l'armee; et la il sera fusille comme un
chien, et abandonne sans sepulture aux oiseaux. Un ivrogne, a la
guerre, n'est pas digne d'une sepulture chretienne. Jeunes gens,
en toutes choses ecoutez les anciens. Si une balle vous frappe, si
un sabre vous ecorche la tete ou quelque autre endroit, n'y faites
pas grande attention; jetez une charge de poudre dans un verre
d'eau-de-vie, avalez cela d'un trait, et tout passera. Vous
n'aurez pas meme de fievre. Et si la blessure n'est pas trop
profonde, mettez-y tout bonnement de la terre, apres l'avoir
humectee de salive sur la main. A l'oeuvre, a l'oeuvre, enfants!
hatez-vous sans vous presser.
Ainsi parlait le _kochevoi_, et des qu'il eut fini son discours,
tous les Cosaques se mirent a la besogne. La _setch_ entiere
devint sobre; on n'aurait pu y rencontrer un seul homme ivre, pas
plus que s'il ne s'en fut jamais trouve parmi les Cosaques. Les
uns reparaient les cercles des roues ou changeaient les essieux
des chariots; les autres y entassaient des armes ou des sacs de
provisions; d'autres encore amenaient les chevaux et les boeufs.
De toutes parts retentissaient le pietinement des betes de somme,
le bruit des coups d'arquebuse tires a la cible, le choc des
sabres contre les eperons, les mugissements des boeufs, les
grincements des chariots charges, et les voix d'hommes parlant
entre eux ou excitant leurs chevaux.
Bientot le _tabor_[26] des Cosaques s'etendit en une longue file,
se dirigeant vers la plaine. Celui qui aurait voulu parcourir tout
l'espace compris entre la tete et la queue du convoi aurait eu
longtemps a courir. Dans la petite eglise en bois, le pope
recitait la priere du depart; il aspergea toute la foule d'eau
benite, et chacun, en passant, vint baiser la croix. Quand le
_tabor_ se mit en mouvement, et s'eloigna de la _setch_, tous les
Cosaques se retournerent:
-- Adieu, notre mere, dirent-ils d'une commune voix, que Die
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