bon.
Apres avoir dit ces mots, il souleva sa tete sur sa main, et
considera attentivement la Tatare enveloppee dans son voile.
Andry se tenait immobile, plus mort que vif, sans oser regarder
son pere en face. Quand il se decida a lever enfin les yeux, il
reconnut que Boulba s'etait endormi, la tete sur la main.
Il fit le signe de la croix; son effroi se dissipa plus vite qu'il
n'etait venu. Quand il se retourna pour s'adresser a la Tatare, il
la vit devant lui, immobile comme une sombre statue de granit,
perdue dans son voile, et le reflet d'un incendie lointain eclaira
tout a coup ses yeux, hagards comme ceux d'un moribond. Il la
secoua par la manche, et tous deux s'eloignerent en regardant
frequemment derriere eux. Ils descendirent dans un ravin, au fond
duquel se trainait paresseusement un ruisseau bourbeux, tout
couvert de joncs croissant sur des mottes de terre. Une fois au
fond du ravin, la plaine avec le _tabor_ des Zaporogues disparut a
leurs regards; en se retournant, Andry ne vit plus rien qu'une
cote escarpee, au sommet de laquelle se balancaient quelques
herbes seches et fines, et par-dessus brillait la lune, semblable
a une faucille d'or. Une brise legere, soufflant de la steppe,
annoncait la prochaine venue du jour. Mais nulle part on
n'entendait le chant d'un coq. Depuis longtemps on ne l'avait
entendu, ni dans la ville, ni dans les environs devastes. Ils
franchirent une poutre posee sur le ruisseau, et devant eux se
dressa l'autre bord, plus haut encore et plus escarpe. Cet endroit
passait sans doute pour le mieux fortifie de toute l'enceinte par
la nature, car le parapet en terre qui le couronnait etait plus
bas qu'ailleurs, et l'on n'y voyait pas de sentinelles. Un peu
plus loin s'elevaient les epaisses murailles du couvent. Toute la
cote devant eux etait couverte de bruyeres; entre elle et le
ruisseau s'etendait un petit plateau ou croissaient des joncs de
hauteur d'homme. La Tatare ota ses souliers, et s'avanca avec
precaution en soulevant sa robe, parce que le sol mouvant etait
impregne d'eau. Apres avoir conduit peniblement Andry a travers
les joncs, elle s'arreta devant un grand tas de branches seches.
Quand ils les eurent ecartees, ils trouverent une espece de voute
souterraine dont l'ouverture n'etait pas plus grande que la bouche
d'un four. La Tatare y entra la premiere la tete basse, Andry la
suivit, en se courbant aussi bas que possible pour faire passer
ses sacs et ses pains, et bien
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