lus riches
seigneurs, des comtes et des barons etrangers, et toute la fleur
de notre noblesse. Chacun d'eux aurait considere mon amour comme
la plus grande des felicites. Je n'aurais eu qu'a faire un choix,
et le plus beau, le plus noble serait devenu mon epoux. Pour aucun
d'eux, o mon cruel destin, tu n'as fait parler mon coeur; mais tu
l'as fait parler, ce faible coeur, pour un etranger, pour un
ennemi, sans egard aux meilleurs chevaliers de ma patrie.
Pourquoi, pour quel peche, pour quel crime, m'as-tu persecutee
impitoyablement, o sainte mere de Dieu? Mes jours se passaient
dans l'abondance et la richesse. Les mets les plus recherches, les
vins les plus precieux faisaient mon habituelle nourriture. Et
pourquoi? pour me faire mourir enfin d'une mort horrible, comme ne
meurt aucun mendiant dans le royaume! et c'est peu que je sois
condamnee a un sort si cruel; c'est peu que je sois obligee de
voir, avant ma propre fin, mon pere et ma mere expirer dans
d'affreuses souffrances, eux pour qui j'aurais cent fois donne ma
vie. C'est peu que tout cela. Il faut, avant ma mort, que je le
revoie et que je l'entende; il faut que ses paroles me dechirent
le coeur, que mon sort redouble d'amertume, qu'il me soit encore
plus penible d'abandonner ma jeune vie, que ma mort devienne plus
epouvantable, et qu'en mourant je vous fasse encore plus de
reproches, a toi, mon destin cruel, et a toi (pardonne mon peche),
o sainte mere de Dieu.
Quand elle se tut, une expression de douleur et d'abattement se
peignit sur son visage, sur son front tristement penche et sur ses
joues sillonnees de larmes.
-- Non, il ne sera pas dit, s'ecria Andry, que la plus belle et la
meilleure des femmes ait a subir un sort si lamentable, quand elle
est nee pour que tout ce qu'il y a de plus eleve au monde
s'incline devant elle comme devant une sainte image. Non tu ne
mourras pas, je le jure par ma naissance et par tout ce qui m'est
cher, tu ne mourras pas! Mais si rien ne peut conjurer ton
malheureux sort, si rien ne peut te sauver, ni la force, ni la
bravoure, ni la priere, nous mourrons ensemble, et je mourrai
avant toi, devant toi, et ce n'est que mort qu'on pourra me
separer de toi.
-- Ne t'abuse pas, chevalier, et ne m'abuse pas moi-meme, lui
repondit-elle en secouant lentement la tete. Je ne sais que trop
bien qu'il ne t'est pas possible de m'aimer; je connais ton
devoir. Tu as un pere, des amis, une patrie qui t'appellent, et
nous sommes tes en
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