u te
garde de tout malheur!
En traversant le faubourg, Tarass Boulba apercut son juif Yankel
qui avait eu le temps de s'etablir sous une tente, et qui vendait
des pierres a feu, des vis, de la poudre, toutes les choses utiles
a la guerre, meme du pain et des _khalatchis_[27].
"Voyez-vous ce diable de juif?" pensa Tarass. Et, s'approchant de
lui:
-- Fou que tu es, lui dit-il, que fais-tu la? Veux-tu donc qu'on
te tue comme un moineau?
Yankel, pour toute reponse, vint a sa rencontre, et faisant signe
des deux mains, comme s'il avait a lui declarer quelque chose de
tres mysterieux, il lui dit:
-- Que votre seigneurie se taise, et n'en dise rien a personne.
Parmi les chariots de l'armee, il y a un chariot qui m'appartient.
Je prends avec moi toutes sortes de provisions bonnes pour les
Cosaques, et en route, je vous les vendrai a plus bas prix que
jamais juif n'a vendu, devant Dieu, devant Dieu!
Tarass Boulba haussa les epaules, en voyant ce que pouvait la
force de la nature juive, et rejoignit le _tabor_.
CHAPITRE V
Bientot toute la partie sud-est de la Pologne fut en proie a la
terreur. On entendait repeter partout "Les Zaporogues, les
Zaporogues arrivent!" Tout ce qui pouvait fuir fuyait; chacun
quittait ses foyers. Alors, precisement, dans cette contree de
l'Europe, on n'elevait ni forteresses, ni chateaux. Chacun se
construisait a la hate quelque petite habitation couverte de
chaume, pensant qu'il ne fallait perdre ni son temps ni son argent
a batir des demeures qui seraient tot ou tard la proie des
invasions. Tout le monde se mit en emoi. Celui-ci echangeait ses
boeufs et sa charrue contre un cheval et un mousquet, pour aller
servir dans les regiments; celui-la cherchait un refuge avec son
betail, emportant tout ce qu'il pouvait enlever. Quelques-uns
essayaient bien une resistance toujours vaine; mais la plus grande
partie fuyait prudemment. Tout le monde savait qu'il n'etait pas
facile d'avoir affaire avec cette foule aguerrie aux combats,
connue sous le nom d'armee zaporogue, qui, malgre son organisation
irreguliere, conservait dans la bataille un ordre calcule. Pendant
la marche, les hommes a cheval s'avancaient lentement, sans
surcharger et sans fatiguer leurs montures; les gens de pied
suivaient en bon ordre les chariots, et tout le _tabor_ ne se
mettait en mouvement que la nuit, prenant du repos le jour, et
choisissant pour ses haltes des lieux deserts ou des forets, plus
vastes encore et
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