rois villages; la moitie des troupeaux de
chevaux de mon pere m'appartient; tout ce que ma mere lui a donne
en dot, et tout ce qu'elle lui cache, tout cela est a moi.
Personne de nos Cosaques n'a des armes pareilles aux miennes. Pour
la seule poignee de mon sabre, on me donne un grand troupeau de
chevaux et trois mille moutons! Eh bien! j'abandonnerai tout cela,
je le brulerai, j'en jetterai la cendre au vent, si tu me dis une
seule parole, si tu fais un seul mouvement de ton sourcil noir!
Peut-etre tout ce que je dis n'est que folies et sottises; je sais
bien qu'il ne m'appartient pas, a moi qui ai passe ma vie dans la
_setch_, de parler comme on parle la ou se trouvent les rois, les
princes, et les plus nobles parmi les chevaliers. Je vois bien que
tu es une autre creature de Dieu que nous autres, et que les
autres femmes et filles des seigneurs restent loin derriere toi.
Avec une surprise croissante, sans perdre un mot, et toute a son
attention, la jeune fille ecoutait ces discours pleins de
franchise et de chaleur, ou se montrait une ame jeune et forte.
Elle pencha son beau visage en avant, ouvrit la bouche et voulut
parler; mais elle se retint brusquement, en songeant que ce jeune
chevalier tenait a un autre parti, et que son pere, ses freres,
ses compatriotes, restaient des ennemis farouches; en songeant que
les terribles Zaporogues tenaient la ville bloquee de tous cotes,
vouant les habitants a une mort certaine. Ses yeux se remplirent
de larmes. Elle prit un mouchoir brode en soie et, s'en couvrant
le visage pour lui cacher sa douleur, elle s'assit sur un siege ou
elle resta longtemps immobile, la tete renversee, et mordant sa
levre inferieure de ses dents d'ivoire, comme si elle eut ressenti
la piqure d'une bete venimeuse.
-- Dis-moi une seule parole, reprit Andry, la prenant par sa main
douce comme la soie.
Mais elle se taisait, sans se decouvrir le visage, et restait
immobile.
-- Pourquoi cette tristesse, dis-moi? pourquoi tant de tristesse?
Elle ota son mouchoir de ses yeux, ecarta les cheveux qui lui
couvraient le visage, et laissa echapper ses plaintes d'une voix
affaiblie, qui ressemblait au triste et leger bruissement des
joncs qu'agite le vent du soir:
-- Ne suis-je pas digne d'une eternelle pitie? La mere qui m'a
mise au monde n'est-elle pas malheureuse? Mon sort n'est-il pas
bien amer? O mon destin, n'es-tu pas mon bourreau? Tu as conduit a
mes pieds les plus dignes gentilshommes, les p
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