ommencee et qui
n'arriverait jamais a sa fin. Quelques-uns s'occupaient de
metiers, d'autres de petit commerce; mais la plus grande partie se
divertissait du matin au soir, tant que la possibilite de le faire
resonnait dans leurs poches, et que leur part de butin n'etait pas
encore tombee dans les mains de leurs camarades ou des
cabaretiers. Cette fete continuelle avait quelque chose de
magique. La _setch_ n'etait pas un ramassis d'ivrognes qui
noyaient leurs soucis dans les pots; c'etait une joyeuse bande
d'hommes insouciants et vivants dans une folle ivresse de gaiete.
Chacun de ceux qui venaient la oubliait tout ce qui l'avait occupe
jusqu'alors. On pouvait dire, suivant leur expression, qu'il
crachait sur tout son passe, et il s'adonnait avec l'enthousiasme
d'un fanatique aux charmes d'une vie de liberte menee en commun
avec ses pareils, qui, comme lui, n'avaient plus ni parents, ni
famille, ni maisons, rien que l'air libre et l'intarissable gaiete
de leur ame. Les differents recits et dialogues qu'on pouvait
recueillir de cette foule nonchalamment etendue par terre avaient
quelquefois une couleur si energique et si originale, qu'il
fallait avoir tout le flegme exterieur d'un Zaporogue pour ne pas
se trahir, meme par un petit mouvement de la moustache: caractere
qui distingue les Petits-Russiens des autres races slaves. La
gaiete etait bruyante, quelquefois a l'exces, mais les buveurs
n'etaient pas entasses dans un _kabak_[19] sale et sombre, ou
l'homme s'abandonne a une ivresse triste et lourde. La ils
formaient comme une reunion de camarades d'ecole, avec la seule
difference que, au lieu d'etre assis sous la sotte ferule d'un
maitre, tristement penches sur des livres, ils faisaient des
excursions avec cinq mille chevaux; au lieu de l'etroite prairie
ou ils avaient joue au ballon, ils avaient des steppes spacieuses,
infinies, ou se montrait, dans le lointain, le Tatar agile, ou
bien le Turc grave et silencieux sous son large turban. Il y avait
encore cette difference que, au lieu de la contrainte qui les
rassemblait dans l'ecole, ils s'etaient volontairement reunis, en
abandonnant pere, mere, et le toit paternel. On trouvait la des
gens qui, apres avoir eu la corde autour du cou, et deja voues a
la pale mort, avaient revu la vie dans toute sa splendeur;
d'autres encore, pour qui un ducat avait ete jusque-la une
fortune, et dont on aurait pu, grace aux juifs intendants,
retourner les poches sans crainte d'en rien
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