tance de son devoir. A leur
arrivee, les Zaporogues attaquerent vigoureusement les ouvrages
exterieurs; mais ils furent recus par la mitraille. Les bourgeois,
les habitants ne voulaient pas non plus rester oisifs, et se
tenaient en armes sur les remparts. On pouvait voir a leur
contenance qu'ils se preparaient a une resistance desesperee. Les
femmes meme prenaient part a la defense; des pierres, des sacs de
sable, des tonneaux de resine enflammee tombaient sur la tete des
assaillants. Les Zaporogues n'aimaient pas avoir affaire aux
forteresses; ce n'etait pas dans les assauts qu'ils brillaient. Le
_kochevoi_ ordonna donc la retraite en disant:
-- Ce n'est rien, seigneurs freres, decidons-nous a reculer. Mais
que je sois un maudit Tatar, et non pas un chretien, si nous
laissons sortir un seul habitant. Qu'ils meurent tous de faim
comme des chiens.
Apres avoir battu en retraite, l'armee bloqua etroitement la
place, et n'ayant rien autre chose a faire, les Cosaques se mirent
a ravager les environs, a bruler les villages et les meules de
ble, a lancer leurs chevaux dans les moissons encore sur pied, et
qui cette annee-la avaient recompense les soins du laboureur par
une riche croissance. Du haut des murailles, les habitants
voyaient avec terreur la devastation de toutes leurs ressources.
Cependant les Zaporogues, disposes en _koureni_ comme a la
_setch_, avaient entoure la ville d'un double rang de chariots.
Ils fumaient leurs pipes, echangeaient entre eux les armes prises
a l'ennemi, et jouaient au saute-mouton, a pair et impair,
regardant la ville avec un sang-froid desesperant; et, pendant la
nuit, les feux s'allumaient; chaque _kouren_ faisait bouillir son
gruau dans d'enormes chaudrons de cuivre; une garde vigilante se
succedait aupres des feux. Mais bientot les Zaporogues
commencerent a s'ennuyer de leur inaction, et surtout de leur
sobriete forcee dont nulle action d'eclat ne les dedommageait. Le
_kochevoi_ ordonna meme de doubler la ration de vin, ce qui se
faisait quelquefois dans l'armee, quand il n'y avait pas
d'entreprise a tenter. C'etait surtout aux jeunes gens, et
notamment aux fils de Boulba, que deplaisait une pareille vie.
Andry ne cachait pas son ennui:
-- Tete sans cervelle, lui disait souvent Tarass, souffre,
Cosaque, tu deviendras _hetman_s[29]. Celui-la n'est pas encore un
bon soldat qui garde sa presence d'esprit dans la bataille; mais
celui-la est un bon soldat qui ne s'ennuie jamais, qui s
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