glissait obliquement dans
l'espace, et, posant une marmite sur les charbons, faisaient cuire
du gruau. Apres avoir soupe, les Cosaques se couchaient par terre,
laissant leurs chevaux errer dans l'herbe, des entraves aux pieds.
Les etoiles de la nuit les regardaient dormir sur leurs caftans
etendus. Ils pouvaient entendre le petillement, le frolement, tous
les bruits du monde innombrable d'insectes qui fourmillaient dans
l'herbe. Tous ces bruits, fondus dans le silence de la nuit,
arrivaient harmonieux a l'oreille. Si quelqu'un d'eux se levait,
toute la steppe se montrait a ses yeux diapree par les etincelles
lumineuses des vers luisants. Quelquefois la sombre obscurite du
ciel s'eclairait par l'incendie des joncs secs qui croissent au
bord des rivieres et des lacs, et une longue rangee de cygnes
allant au nord, frappes tout a coup d'une lueur enflammee,
semblaient des lambeaux d'etoffes rouges volant a travers les
airs.
Nos voyageurs continuaient leur route sans aventure. Nulle part,
autour d'eux, ils ne voyaient un arbre; c'etait toujours la meme
steppe, libre, sauvage, infinie. Seulement, de temps a autre, dans
un lointain profond, on distinguait la ligne bleuatre des forets
qui bordent le Dniepr. Une seule fois, Tarass fit voir a ses fils
un petit point noir qui s'agitait au loin:
-- Voyez, mes enfants, dit-il, c'est un Tatar qui galope.
En s'approchant, ils virent au-dessus de l'herbe une petite tete
garnie de moustaches, qui fixa sur eux ses yeux a la fente mince
et allongee, flaira l'air comme un chien courant, et disparut avec
la rapidite d'une gazelle, apres s'etre convaincu que les Cosaques
etaient au nombre de treize.
-- Eh bien! enfants, voulez-vous essayer d'attraper le Tatar?
Mais, non, n'essayez pas, vous ne l'atteindriez jamais; son cheval
est encore plus agile que mon Diable.
Cependant Boulba, craignant une embuche, crut-il devoir prendre
ses precautions. Il galopa, avec tout son monde, jusqu'aux bords
d'une petite riviere nommee la Tatarka, qui se jette dans le
Dniepr. Tous entrerent dans l'eau avec leurs montures, et ils
nagerent longtemps eu suivant le fil de l'eau, pour cacher leurs
traces. Puis, apres avoir pris pied sur l'autre rive, ils
continuerent leur route. Trois jours apres, ils se trouvaient deja
proches de l'endroit qui etait le but de leur voyage. Un froid
subit rafraichit l'air; ils reconnurent a cet indice la proximite
du Dniepr. Voila, en effet, qu'il miroite au loin, et se
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