, et en
trouvant les siens remplis d'une attente pleine d'angoisse et de douleur,
vous ne me connaissez pas, quand vous voulez me charger d'un role qui me
convient si peu. Une femme capable d'en abuser serait seule capable de
l'accepter. Je ne suis ni coquette ni orgueilleuse, je ne crois pas etre
vaine, et je n'ai aucun esprit de domination. Votre amour me flatterait,
si je pouvais le partager; et si cela etait, je vous le dirais tout de
suite. Vous affliger par l'assurance reiteree du contraire est, dans la
situation ou je vous trouve, un acte de cruaute froide que vous auriez
bien du m'epargner, et qui m'est cependant impose par ma conscience,
quoique mon coeur le deteste, et se dechire en l'accomplissant.
Plaignez-moi d'etre forcee de vous affliger, de vous offenser, peut-etre,
en un moment ou je voudrais donner ma vie pour vous rendre le bonheur et
la sante.
--Je le sais, enfant sublime, repondit Albert avec un triste sourire.
Tu es si bonne et si grande, que tu donnerais ta vie pour le dernier des
hommes; mais ta conscience, je sais bien qu'elle ne pliera pour personne.
Ne crains donc pas de m'offenser, en me devoilant cette rigidite que
j'admire, cette froideur stoique que ta vertu conserve au milieu de la
plus touchante pitie. Quant a m'affliger, cela n'est pas en ton pouvoir,
Consuelo. Je ne me suis point fait d'illusions; je suis habitue aux plus
atroces douleurs; je sais que ma vie est devouee aux sacrifices les plus
cuisants. Ne me traite donc pas comme un homme faible, comme un enfant
sans coeur et sans fierte, en me repetant ce que je sais de reste, que tu
n'auras jamais d'amour pour moi. Je sais toute ta vie, Consuelo, bien que
je ne connaisse ni ton nom, ni ta famille, ni aucun fait materiel qui te
concerne. Je sais l'histoire de ton ame; le reste ne m'interesse pas.
Tu as aime, tu aimes encore, et tu aimeras toujours un etre dont je ne
sais rien, dont je ne veux rien savoir, et auquel je ne te disputerai que
si tu me l'ordonnes. Mais sache, Consuelo, que tu ne seras jamais ni a
lui, ni a moi, ni a toi-meme. Dieu t'a reserve une existence a part, dont
je ne cherche ni ne prevois les circonstances; mais dont je connais le but
et la fin. Esclave et victime de ta grandeur d'ame, tu n'en recueilleras
jamais d'autre recompense en cette vie que la conscience de ta force et
le sentiment de ta bonte. Malheureuse au dire du monde, tu seras, en depit
de tout, la plus calme et la plus heureuse des creatures humaine
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