t t'obeir en tout. Oui, Consuelo, je peux meme
devenir un homme tranquille, soumis, et, en apparence, aussi raisonnable
que les autres. Est-ce ainsi que je te serai moins amer et moins
effrayant? Jusqu'ici je n'ai jamais pu ce que j'ai voulu; mais tout ce
que tu voudras desormais me sera accorde. Je mourrai peut-etre en me
transformant selon ton desir; mais c'est a mon tour de te dire que ma
vie a toujours ete empoisonnee, et que je ne pourrais pas la regretter en
la perdant pour toi.
--Cher et genereux Albert, dit Consuelo rassuree et attendrie,
expliquez-vous mieux, et faites enfin que je connaisse le fond de cette
ame impenetrable. Vous etes a mes yeux un homme superieur a tous les
autres; et, des le premier instant ou je vous ai vu, j'ai senti pour
vous un respect et une sympathie que je n'ai point de raisons pour vous
dissimuler. J'ai toujours entendu dire que vous etiez insense, je n'ai pas
pu le croire. Tout ce qu'on me racontait de vous ajoutait a mon estime et
a ma confiance. Cependant il m'a bien fallu reconnaitre que vous etiez
accable d'un mal moral profond et bizarre. Je me suis, presomptueusement
persuadee que je pouvais adoucir ce mal. Vous-meme avez travaille a me le
faire croire. Je suis venue vous trouver, et voila que vous me dites sur
moi et sur vous-meme des choses d'une profondeur et d'une verite qui
me rempliraient d'une veneration sans bornes, si vous n'y meliez des idees
etranges, empreintes d'un esprit de fatalisme que je ne saurais partager.
Dirai-je tout sans vous blesser et sans vous faire souffrir?...
--Dites tout, Consuelo; je sais d'avance ce que vous avez a me dire.
--Eh bien, je le dirai, car je me l'etais promis. Tous ceux qui vous
aiment desesperent de vous. Ils croient devoir respecter, c'est-a-dire
menager, ce qu'ils appellent votre demence; ils craignent de vous
exasperer, en vous laissant voir qu'ils la connaissent, la plaignent,
et la redoutent. Moi, je n'y crois pas, et je ne puis trembler en vous
demandant pourquoi, etant si sage, vous avez parfois les dehors d'un
insense; pourquoi, etant si bon, vous faites les actes de l'ingratitude
et de l'orgueil; pourquoi, etant si eclaire et si religieux, vous vous
abandonnez aux reveries d'un esprit malade et desespere; pourquoi, enfin,
vous voila seul, enseveli vivant dans un caveau lugubre, loin de votre
famille qui vous cherche et vous pleure, loin de vos semblables que vous
cherissez avec un zele ardent, loin de moi, enfin, que v
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