oussant un soupir qui semblait
briser sa poitrine. Chere, chere et malheureuse soeur! victime infortunee
que j'ai vengee trop tard, et que je n'ai pas su defendre! Ah! Tu le
sais, toi, l'infame qui t'a outragee a peri dans les tourments, et ma
main s'est impitoyablement baignee dans le sang de ses complices. J'ai
ouvert la veine profonde de l'Eglise maudite; j'ai lave ton affront, le
mien, et celui de mon peuple, dans des fleuves de sang. Que veux-tu de
plus, ame inquiete et vindicative? Le temps du zele et de la colere est
passe; nous voici aux jours du repentir et de l'expiation. Demande-moi
des larmes et des prieres; ne me demande plus de sang: j'ai horreur du
sang desormais, et je n'en veux plus repandre! Non! non! pas une seule
goutte! Jean Ziska ne remplira plus son calice que de pleurs inepuisables
et de sanglots amers!"
En parlant ainsi, avec des yeux egares et des traits animes par une
exaltation soudaine, Albert tournait autour de Consuelo, et reculait
avec une sorte d'epouvante chaque fois qu'elle faisait un mouvement pour
arreter cette bizarre conjuration.
Il ne fallut pas a Consuelo de longues reflexions pour comprendre la
tournure que prenait la demence de son hote. Elle s'etait fait assez
souvent raconter l'histoire de Jean Ziska pour savoir qu'une soeur de ce
redoutable fanatique, religieuse avant l'explosion de la guerre hussite,
avait peri de douleur et de honte dans son couvent, outragee par un moine
abominable, et que la vie de Ziska avait ete une longue et solennelle
vengeance de ce crime. Dans ce moment, Albert, ramene par je ne sais
quelle transition d'idees, a sa fantaisie dominante, se croyait Jean
Ziska, et s'adressait a elle comme a l'ombre de Wanda, sa soeur
infortunee.
Elle resolut de ne point contrarier brusquement son illusion:
"Albert, lui dit-elle, car ton nom n'est plus Jean, de meme que le mien
n'est plus Wanda, regarde-moi bien, et reconnais que j'ai change, ainsi
que toi, de visage et de caractere. Ce que tu viens de me dire, je venais
pour te le rappeler. Oui, le temps du zele et de la fureur est passe. La
justice humaine est plus que satisfaite; et c'est le jour de la justice
divine que je t'annonce maintenant; Dieu nous commande le pardon et
l'oubli. Ces souvenirs funestes, cette obstination a exercer en toi
une faculte qu'il n'a point donnee aux autres hommes, cette memoire
scrupuleuse et farouche que tu gardes de tes existences anterieures, Dieu
s'en offense, et te la re
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