t mal applique et
detourne de son but. C'etait une ame bourgeoise avec une imagination
byronienne. Ce qu'il y a de constant, dans sa correspondance, c'est le
souci de son interieur, de son menage, de ses enfants. Tout s'y ramene;
elle presse sans cesse ses amis de venir la chercher la ou sont ses
racines. Dans cette derniere partie de son existence, combien elle se
montre differente de cette fantasque et superbe amazone d'un ideal
chimerique, qui avait chevauche, dans de folles equipees, a travers tant
de coeurs brises! C'est elle, c'est la meme qui, ramenee dans des
conditions a peu pres normales d'existence et dans son cadre familial,
decrit ainsi cette vie qui est devenue sa plus chere habitude et comme
sa derniere religion. "A Nohant, c'est toujours la meme regularite
monastique: le dejeuner, l'heure de promenade, les cinq heures de
travail de ceux qui travaillent, le diner, le cent de dominos, la
tapisserie, pendant laquelle Manceau[15] me fait la lecture de quelque
roman; Nini[16], assise sur la table, brodant aussi; l'ami Borie
ronflant, le nez dans le calorifere et pretendant qu'il ne dort plus du
tout; Solange le faisant enrager; Emile (Aucante) disant des sentences."
Voila bien le tableau de famille auquel se melent quelques profils
d'amis. Car ce Nohant est une auberge hospitaliere, tout a fait
ecossaise, ouverte toute l'annee aux intimes. Le jour, quand elle se
porte bien, elle travaille a "son petit Trianon"; elle brouette des
cailloux, elle arrache de mauvaises herbes, elle plante du lierre; elle
s'ereinte dans un jardin de poupee, et cela la fait dormir, dit-elle, et
manger on ne peut mieux. On la voit d'ici, et dans quel costume neglige
je la surpris, cette bonne travailleuse de la terre!
La vie d'interieur, elle l'avait d'ailleurs recherchee, meme a travers
les circonstances les plus contraires, a condition que l'interieur fut
regle par elle et qu'on lui laissat certaines libertes, d'ordinaire
inconciliables. Quel est le sentiment qui dominait quand elle alla
s'etablir avec ses enfants a Majorque, trainant avec elle le pauvre
Chopin, deja tres malade? Il faut lire ses lettres de l'hiver de 1839,
datees de l'abbaye de Valdemosa, pour se rendre compte de cette sorte de
maternite exaltee dans laquelle s'etait transformee toute autre
affection et qu'elle etendait sur le grand artiste souffrant. Dans cette
famille reunie d'une facon assez bizarre, n'est-ce pas comme un autre
enfant a elle qu'elle soigne et
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