uneaux, d'une grosse tourte
de pain bis, et des quatre cruches de vin apportees par le maitre en
personne. Les convives se mirent bien vite a deguster ce repas frugal avec
une satisfaction evidente, a l'exception du voyageur, qui n'avait aucun
appetit, et qui se contentait d'admirer la bonne grace avec laquelle le
digne chatelain le conviait, sans embarras et sans fausse honte, a son
splendide ordinaire. Il y avait dans cette aisance affectueuse et naive
quelque chose de paternel et d'enfantin en meme temps qui gagna le coeur du
jeune homme.
Fidele a la loi de generosite qu'il s'etait imposee, M. Antoine ne fit
aucune question a son hote, et meme evita toute reflexion qui eut pu
ressembler a une curiosite deguisee. Le paysan paraissait un peu plus
inquiet, et se tenait sur la reserve. Mais bientot, entraine par l'espece
de causerie generale que M. Antoine et dame Janille avaient entamee, il se
mit a l'aise et laissa remplir son verre si souvent, que le voyageur
commenca a regarder avec etonnement un homme capable de boire ainsi sans
perdre non-seulement l'usage de sa raison, mais encore l'habitude de son
sang-froid et de sa gravite.
Quant au chatelain, ce fut une autre affaire. A peine eut-il bu la moitie
du broc place aupres de lui, qu'il commenca a avoir l'oeil anime; le nez
vermeil et la main peu sure. Cependant il ne deraisonna point, meme apres
que tous les brocs furent vides par lui et son ami le paysan; car Janille,
soit par economie, soit par sobriete naturelle, mit a peine quelques
gouttes de vin dans son eau, et le voyageur, ayant fait un effort heroique
pour avaler la premiere rasade, s'abstint de ce breuvage aigre, trouble et
detestable.
Ces deux campagnards paraissaient pourtant le boire avec delices. Au bout
d'un quart d'heure, Janille, qui ne pouvait vivre sans remuer, quitta la
table, prit son tricot et se mit a travailler au coin du feu, grattant a
chaque instant ses tempes avec son aiguille, sans toutefois deranger les
minces bandeaux de cheveux encore noirs qui depassaient un peu sa coiffe.
Cette vieille, proprette et menue, pouvait avoir ete jolie; son profil
delicat ne manquait pas de distinction, et si elle n'eut ete manieree, et
preoccupee de faire la capable et la gentille, notre voyageur l'eut prise
aussi en affection.
Les autres personnages qui, en l'absence de la _demoiselle_, completaient
l'interieur de M. Antoine etaient, l'un un petit paysan, d'une quinzaine
d'annees, a la mine evei
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