e sur certains
points, et, jusqu'a ce que nous soyons d'accord, je ne m'exposerai pas a
des contestations qui ne conviennent point a mon role de chef de famille.
C'est assez; bonsoir, mon enfant! J'ai a travailler.
--Ne puis-je donc vous aider? vous ne m'avez jamais cru propre a vous
eviter quelque fatigue!
--J'espere que tu le deviendras. Mais tu ne sais pas encore faire une
addition.
--Des chiffres; toujours des chiffres!
--Va donc dormir, c'est moi qui veillerai pour que tu sois riche un jour.
--Eh! ne suis-je pas deja assez riche? pensait Emile en se retirant. Si,
comme mon pere me l'a dit souvent et avec raison, la richesse impose des
devoirs immenses, pourquoi donc user sa vie a se creer ces devoirs, qui
depassent peut-etre nos forces!"
La journee du lendemain fut consacree a reparer un peu le desordre apporte
par l'inondation. M. Cardonnet, malgre la force de son caractere, eprouvait
une profonde contrariete, en constatant a chaque pas une perte imprevue
dans les mille details de son entreprise; ses ouvriers etaient demoralises.
L'eau, qui faisait marcher l'usine, et dont il etait encore impossible de
regler la force, imprimait aux machines un mouvement de rotation
desordonne, augmentant a mesure qu'elle tendait a s'ecouler par dessus les
ecluses. L'industriel etait grave et pensif; il s'irritait secretement
contre le peu de presence d'esprit des hommes qu'il gouvernait, et qui lui
semblaient plus machines que ses machines. Il les avait habitues a une
obeissance passive, aveugle, et il sentait que dans les moments de crise,
ou la volonte d'un seul homme devient insuffisante, les esclaves sont les
plus mauvais serviteurs qui se puissent trouver. Il n'appela pourtant pas
Emile a son aide, et, au contraire, chaque fois que le jeune homme vint lui
offrir ses services, il l'ecarta sous divers pretextes, comme s'il se fut
mefie de lui en effet. Cette maniere de le chatier etait la plus
mortifiante pour un coeur ardent et genereux.
Emile essaya de se consoler aupres de sa mere; mais la bonne madame
Cardonnet manquait totalement de ressort, et l'ennui qu'inspirait a tout le
monde l'accablement de son esprit et l'espece de stupeur dont son ame etait
a jamais frappee se traduisait chez son fils par une invincible melancolie,
lorsqu'elle essayait de le distraire et de l'amuser. Elle aussi le traitait
comme un enfant, et c'etait a force de tendresse qu'elle arrivait au meme
resultat blessant que son mari. N'aya
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